Rareté signée par un maître du cinéma d’épouvante des années 30, La Maison de la mort est une belle curiosité pour cinéphiles. Après le monstre de Frankenstein, Boris Karloff incarnait à nouveau un être étrange.
Synopsis : Alors qu’ils traversent une région isolée du pays de Galles, M. et Mme Waverton et leur ami Philip sont pris dans une terrible tempête. Ils trouvent refuge dans une vieille demeure tenue par Rebecca Femm et son frère Horace, secondés par Morgan, leur étrange majordome muet et défiguré. Un peu plus tard dans la soirée, deux autres visiteurs viennent à leur tour demander l’hospitalité : Sir William Porterhouse et son amie Gladys Duquesne. À mesure que la nuit s’installe, l’atmosphère se fait de plus en plus pesante entre les hôtes et leurs invités. Le terrible secret de cette demeure est alors sur le point d’être révélé !
Le film brille par son ambiance gothique et sa force suggestive
Critique : Produit par Carl Laemmle et Universal, The Old Dark House de James Whale, sorti en France en 1934 sous le titre Une soirée étrange, était un peu tombé aux oubliettes, loin de la réputation de Frankenstein et L’Homme invisible, les deux autres films culte de James Whale. Adapté d’un roman de l’obscur J.B. Priestley, écrivain anglais, qui fut lui-même l’objet d’une transposition théâtrale, le film vaut surtout pour son ambiance gothique et son ancrage horrifique qui joue sur la suggestion davantage que les effets de Grand-guignol. Car si l’œuvre peut être rétrospectivement perçue comme une série B, avec l’économie de moyens que cela supposait, Whale se sert justement de ses contraintes budgétaires pour créer une ambiance trouble et angoissante. Il anticipe ainsi les géniales perles noires de Jacques Tourneur pour la RKO à la décennie suivante (Cat People) : une porte qui claque, un coup de tonnerre ou une vieille femme filmée en ombres chinoises suffisent à créer un réel trouble, le huis clos accentuant la sensation d’oppression.
La Maison de la mort dépasse la minceur d’un scénario minimaliste
Whale est très bien épaulé par une équipe artistique et technique au top, dont le chef opérateur Arthur Edeson (Le Faucon maltais), le décorateur Charles D. Hall (Le Fantôme de l’opéra), ou le chef maquilleur Jack Pierce, qui avait déjà amoché Béla Lugosi dans Dracula et Boris Karloff dans Frankenstein, ce dernier jouant ici le rôle du majordome effrayant. L’ouvrage pourra certes sembler mineur de par son canevas policier mince et son intrigue minimaliste. Mais outre les qualités que nous avons mentionnées, La Maison de la mort bénéficie d’un ton décalé inédit pour l’époque, Whale apportant une surprenante dose d’humour anglais dans les situations les plus incongrues ou terrifiantes. On a aussi à droit un réjouissant marivaudage à la sauce macabre et à des allusions grivoises sans être vulgaires, ce que permettait encore Hollywood avant le code de censure Hays en vigueur dès 1934, soit deux ans après la sortie américaine du film.
Une sublime restauration 4K pour un ouvrage à voir bien que mineur
Les cinéphiles pourront en outre s’amuser à établir des correspondances avec de futurs fleurons du genre : des automobilistes surpris par la pluie ou une personne âgée cachée dans une chambre annoncent Psychose, une bigote dégénérée rappelle la mère de Carrie, et aux hôtes loin d’être bienveillants feront écho les tenanciers de L’Auberge rouge ou la famille recluse de Massacre à la tronçonneuse. Quant au casting, il est certes inégal : si certains acteurs n’évitent pas la grandiloquence théâtrale inhérente au début du cinéma parlant, on appréciera le jeu très classieux de Melvyn Douglas (Ninotchka) et le charme acidulé de Gloria Stuart, qui incarnera des décennies plus tard Rose âgée dans Titanic. Au final, s’il reste un ouvrage mineur, La Maison de la mort se savoure comme certains incunables diffusés naguère au Cinéma de minuit. Le distributeur Carlotta a pris la judicieuse initiative de le proposer dans sa sublime restauration 4K.
Critique : Gérard Crespo