Dernier volet de la tétralogie des Templiers maudits, La chevauchée des morts vivants est une œuvre à l’ambiance sombre et mystérieuse qui séduit malgré des choix esthétiques parfois très étranges. Une curiosité.
Synopsis : Le docteur Henry et Joan Stein se rendent dans le sud-est de la Catalogne, dans un village de pêcheurs dont le médecin vient de prendre sa retraite. Le couple se heurte rapidement au mutisme et à l’hostilité de la population qui vit sous la menace d’une malédiction. En effet, tous les sept ans, des chevaliers morts-vivants ressortent de leurs tombeaux, réclamant, sept nuits durant, le sacrifice d’une jeune femme en échange de la sauvegarde de la population. Avec l’aide de Teddy, un simple d’esprit, Henry et Joan vont tenter de mettre un terme à la malédiction.
L’âge d’or de l’horreur ibérique
Critique : Dans la deuxième moitié des années 60, le cinéma espagnol est toujours sous l’influence de la censure franquiste. Il est de plus en plus difficile de tourner des œuvres sérieuses ayant un contenu sociétal ou politique. Cependant le régime de Franco accepte la profusion de films fantastiques ou horrifiques car ils semblent particulièrement inoffensifs aux yeux des censeurs qui ne les prennent pas au sérieux. Une seule condition est édictée aux créateurs : ne jamais situer leur récit en Espagne, mais dans des lieux indéfinis. Il ne doit pas pouvoir être dit que l’Espagne franquiste tolère des atrocités.
C’est dans ce cadre strict que l’horreur ibérique a connu un essor sans précédent durant une période s’étalant de la fin des années 60 jusqu’au milieu des années 70. Avec la fin du franquisme, le cinéma local se tournera plutôt vers des réalités sociales sordides (le cinéma quinqui) ou des comédies en forme d’exutoire après des décennies de censure (le mouvement impertinent de la Movida).
Et vint la tétralogie des Templiers maudits…
En attendant, quelques artistes émergent de ce mouvement lié au cinéma horrifique, dont l’inévitable Paul Naschy. Parmi eux, l’on trouve également le cinéaste Amando de Ossorio qui vient pourtant du cinéma d’auteur pur et dur et qui s’est reconverti dans le cinéma de divertissement au cours des années 60, à la suite de l’interdiction pure et simple de son premier film (La bandera negra en 1956). Le réalisateur iconoclaste connaît surtout un énorme succès avec La révolte des morts-vivants (1971) qui invente les figures originales de guerriers Templiers qui reviennent de l’au-delà pour tourmenter les vivants.
© 1972 Interfilme – Plata Films S.A. / Affiche : Eric Faugère. Tous droits réservés.
Contrairement aux morts-vivants de Romero, ceux-ci sont représentés par des squelettes charnus et encapuchonnés qui brandissent des épées juchés sur leurs chevaux filmés au ralenti, le tout sur une musique inquiétante signée Antón García Abril. Le succès fut tel que le réalisateur a pu reprendre le concept dans Le retour des morts-vivants (1973) et Le monde des morts-vivants (1974) qui possèdent des intrigues indépendantes les unes des autres. Grâce aux succès de ces films, la petite compagnie indépendante Ancla Century Films est devenue une structure plus professionnelle.
Un quatrième volet tourné en Catalogne
Toutefois, pour parvenir à monter le quatrième volet des aventures de nos Templiers maudits, Amando de Ossorio a besoin d’aide et il s’associe à la compagnie catalane Profilmes qui a déjà pignon sur rue à l’époque. Ainsi, le montage financier s’avère plus facile et Amando de Ossorio va pouvoir profiter d’un tournage en Catalogne. Tandis que les scènes de plage sont réalisées à Tossa de Mar, les séquences du vieux village décrépi ont été tournées à Patones de Arriba, ce qui octroie au long métrage une patine visuelle remarquable, tant ces lieux semblent hors du temps.
Suivant le modèle établi par la firme britannique Hammer, le cinéaste plonge le spectateur dans un environnement gothique particulièrement inhospitalier. A la suite du nouveau docteur et de son épouse, le spectateur découvre un lieu très étrange où les villageois paraissent tous franchement hostiles et sur leur garde. Par la grâce d’une lenteur savamment étudiée et d’une musique toujours aussi inquiétante d’Antón García Abril, le film débute par un flashback nous ramenant au Moyen-âge, avant de suivre les péripéties de ce couple contemporain qui débarque dans une bourgade reculée où des rites étranges semblent se dérouler durant la nuit, tandis que des jeunes femmes disparaissent mystérieusement.
Flying Jaquette : derrière la jaquette de Horror, à mi-chemin entre L’éventreur de New York et Frayeurs, se cachait un film de Templiers… All Rights Reserved.
Des morts-vivants sous l’influence de Lovecraft
Comme nous en sommes au quatrième volet de la saga, Amando de Ossorio ne perd pas de temps pour dévoiler les fauteurs de troubles qui sont bien les Templiers maudits. Cette fois-ci, le cinéaste introduit une nouvelle variation par rapport aux épisodes précédents en s’inspirant très fortement de l’œuvre littéraire d’H.P. Lovecraft. Ainsi, il s’est souvenu du village d’Innsmouth pour créer sa propre bourgade coupée du monde, tandis que la divinité marine que les Templiers vénère fait évidemment référence à Dagon ou encore Cthulhu.
Cette dimension lovecraftienne n’est bien entendu aucunement compatible avec l’histoire réelle des Templiers, mais de Ossorio s’en moque totalement puisque son but est de créer une atmosphère fantastique proche du surréalisme. Il y parvient en grande partie dès qu’il filme ses spectres sortis de nulle part et qu’il nimbe sa nuit américaine d’une photographie très étrange pleine de halos lumineux. Cela donne une empreinte visuelle unique à cette Chevauchée des morts vivants qui n’a malheureusement pas la même puissance lors des scènes avec les humains.
Dans La chevauchée des morts vivants, tout est affaire d’ambiance
Effectivement, si María Kosty et Sandra Mozarowsky s’avèrent très justes dans leurs expressions, on ne peut pas en dire autant de l’acteur de télévision Víctor Petit qui fait un docteur un peu falot et en manque cruel de charisme. De même, on peut trouver banale toute la séquence où les protagonistes se barricadent dans leur maison afin d’échapper aux assauts des goules nocturnes. On a déjà vu cette situation, et en nettement mieux, chez Romero.
Heureusement, la banalité de l’intrigue est en partie compensée par l’ambiance très sombre et macabre d’une œuvre qui n’est pas là pour rigoler. D’ailleurs, sans vouloir trop extrapoler sur les volontés réelles des auteurs, ne peut-on pas considérer le village replié sur lui-même comme une métaphore à peine voilée de l’Espagne franquiste alors totalement isolée sur le plan diplomatique ?
Deux visuels vidéo de La Chevauchée des morts vivants. A droite en VHS, éditeur : Arts et Mélodie (1982) et à gauche, éditeur: Le Chat qui Fume (2024) © 1975 Victory Films / Jaquette : FRHEAD. fr. Tous droits réservés.
L’échec commercial espagnol a mis fin à la franchise
Alternant les moments de pure poésie – l’utilisation régulière des crabes pour emporter les cadavres des jeunes vierges – avec des passages plus embarrassants – où les fautes de raccord et les maladresses sont bien visibles – La chevauchée des morts vivants conclue tout de même de belle manière cette tétralogie inégale qui vaut surtout le détour pour le design inquiétant des Templiers maudits. Sorti en Espagne durant l’été 1975, le long métrage a été un cruel échec commercial qui a mis à mal la carrière d’Amando de Ossorio. Le public espagnol était déjà passé à autre chose et le film arrive en queue de peloton alors que le genre horrifique perd déjà de sa superbe.
Jaquette vidéo d’une ressortie de La Chevauchée des morts vivants, chez Carrere Vidéo sous le titre de Templiers, le retour des maudits © 1975 Victory Films
Les différentes éditions vidéo françaises du film
En ce qui concerne la France, le long métrage n’est parvenu sur les grands écrans qu’à partir du mercredi 26 mars 1980, soit plus de cinq ans après sa création. Comme les autres volets de la tétralogie, le métrage n’a guère été vu par les cinéphiles français. A Paris, il ne reste qu’une seule semaine à l’affiche, avec deux écrans pour l’accueillir, La Maxéville et Les Images où La chevauchée saisit 2 761 cavaliers sur son passage.
Il a fallu attendre sa sortie en VHS en 1982 chez AM Vidéo pour que les adeptes du genre puissent véritablement le découvrir. Au vu de son esthétique particulière, on n’ose pas imaginer le rendu de cette VHS qui devait être bien sombre.
Par la suite, le long métrage a été exploité sous différents titres par des éditeurs peu scrupuleux. On le retrouve en 1986 derrière le titre Horror avec une jaquette qui pompe celle du Frayeurs de Lucio Fulci (chez Ciné Vidéo Distribution), tandis que Carrère Vidéo transforme le film en Templiers, le retour des maudits, au cours de cette même année 1986.
Jamais édité en DVD chez nous, il a fallu attendre l’initiative du Chat qui Fume qui a proposé un blu-ray et une galette 4K UHD au mois de mars 2024. On notera que le titre est désormais affublé d’un trait d’union (La chevauchée des morts-vivants) qui était absent lors des premières sorties cinéma et VHS du film. La copie a certes été restaurée, mais les séquences nocturnes mettant en scène les Templiers conservent cette esthétique floue très particulière, avec des couleurs baveuses qui peuvent indisposer. Cela respecte pourtant les volontés artistiques de l’auteur.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 26 mars 1980
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© 1975 Victory Films. Tous droits réservés.
Biographies +
Amando de Ossorio, Víctor Petit, María Kosty, Sandra Mozarowsky, Julia Saly
Mots clés
Cinéma espagnol, Cinéma gothique, Films avec des zombis, La plage au cinéma, La chevalerie au cinéma, Les médecins au cinéma