Beau film de fantasy qui fut un cuisant échec commercial, Krull mérite amplement une seconde chance auprès des fantasticophiles.
Synopsis : La Bête est une horrible créature qui impose son règne sur la planète Krull avec l’aide de ses sbires, des cavaliers démoniaques. Le chaos et la terreur sont le quotidien des habitants, excepté dans deux royaumes encore résistants. Pour souder d’ailleurs un peu plus les rebelles, un mariage va être bientôt célébrer entres les deux héritiers des deux mondes. Hélas, le jour de la cérémonie, les êtres malfaisants débarquent et enlèvent la mariée…
Un film à cheval entre plusieurs genres
Critique : Alors que tous les grands studios se sont lancés avec plus ou moins de bonheur dans la conception d’un grand space opera afin de surfer sur le triomphe de La guerre des étoiles (Lucas, 1977), la Columbia est restée sur le carreau et entend bien remédier à cet état de fait en confiant la rédaction d’un script entièrement original à Stanford Sherman qui venait tout juste de remporter un gros succès en écrivant Ça va cogner (Van Horn, 1980) pour Clint Eastwood. Le scénariste propose donc une œuvre entièrement inventée intitulée initialement The Dragons of Krull, et ceci malgré l’absence de cracheur de feu dans le scénario.
© 1983 Columbia Pictures Industries Inc. / © 2020 Sidonis Production / Conception graphique : Dark Star. Tous droits réservés.
Les producteurs approchent le réalisateur Peter Yates afin qu’il réalise ce projet de grande envergure. Si le cinéaste a parfois tourné des œuvres intimistes à vocation intellectuelle, il a aussi dans son CV la conception de Bullitt (1968) et de sa fantastique course-poursuite en voiture. L’homme est donc considéré comme une valeur sûre dans le domaine de l’action, tout en assurant un traitement respectueux des personnages et de leur psychologie. Bien que peu familier du genre fantastique, Peter Yates tente de se rattacher à des genres qu’il affectionne. Ainsi, il ajoute beaucoup de combats à l’épée qui rappellent le genre du swashbuckler (ces films d’aventures des années 30, souvent avec Errol Flynn), ainsi que des moments inspirés du western, comme ces chevauchées à brides abattues dans des paysages splendides.
Krull bénéficie d’un budget colossal pour l’époque
Les producteurs font également le choix de concentrer l’énorme budget (plus de 27 millions de dollars et non 47 comme on le lit encore trop souvent) sur les effets spéciaux. On économise notamment sur le casting, avec deux inconnus en tête d’affiche, les sympathiques Ken Marshall et Lysette Anthony. Dans les seconds rôles, on pourra toujours relever la présence des jeunes Liam Neeson et Robbie Coltrane, tandis que les autres grands noms viennent surtout de la scène britannique. L’assurance d’une interprétation de qualité, mais pas nécessairement un bon argument de vente à l’époque.
Doté d’un confortable budget, Krull souffre sans aucun doute d’un scénario un peu trop linéaire qui reprend la structure de livres comme Le seigneur des anneaux de Tolkien. Il s’agit donc d’une quête au cours de laquelle le héros se dote d’armes et de compagnons qui pourront l’aider face au boss de fin qui s’appelle justement la Bête. Autant dire que Krull surfe sur la mode naissante des jeux vidéo en reprenant une structure bien connue de tous les gamers. D’ailleurs, plusieurs jeux d’arcade ont été produits à cette occasion, mais tous n’ont pas été commercialisés, suite à l’échec du film. On peut ainsi reprocher au long-métrage de ne pas faire dans la nuance et de proposer une histoire binaire où les bons sont tous gentils et les méchants des êtres monstrueux. Toutefois, comme le sera par la suite le magnifique Legend (Scott, 1985), Krull compense largement cette absence de subtilité par un travail esthétique enthousiasmant.
Des décors somptueux et une musique enthousiasmante
Tourné en grande partie dans les immenses studios de Pinewood – dont le fameux studio 007 où ont été réalisés les James Bond – Krull bénéficie de grandioses décors de Herbert Westbrook et Stephen B. Grimes. Ainsi, on peut trouver admirable leur conception de l’intérieur de la forteresse alien, le marais hanté ou encore l’antre de l’araignée géante. Ce sont autant d’environnements d’une grande beauté esthétique, pour peu que l’on aime des décors se dénonçant comme tels. Contrairement aux effets spéciaux numériques, on sent ici la sueur et le travail d’une équipe cherchant à fournir le plus beau décor possible. On en reste donc souvent béat d’admiration devant tant d’efforts.
On peut également signaler la magnificence de la partition musicale composée par James Horner. Le musicien nous livre ici plusieurs thèmes mémorables et parvient à utiliser un orchestre symphonique sans avoir recours à la grande pompe qui était de mise dans les années 80. Il y a bien un thème principal épique, mais le reste de la partition est bien plus fine et travaillée, laissant le champ libre au spectateur pour sa propre rêverie. Un bien beau travail, donc, pour une bande originale devenue culte pour beaucoup.
Une belle ambiance anxiogène
Si l’intrigue à proprement parler ne possède pas vraiment d’aspérités, le cinéaste Peter Yates n’hésite pas à tirer son film vers une ambiance anxiogène. Ainsi, les épreuves subies par les personnages se révèlent très souvent mortelles et les auteurs ne prennent guère de gants en sacrifiant parfois des protagonistes sympathiques. Le sentiment de danger émane donc constamment dans cette œuvre dynamique et pleine d’action et de suspense. Si la plupart des effets spéciaux conservent une belle efficacité de nos jours, on peut sans aucun doute regretter le choix d’avoir volontairement flouté le monstre final, pourtant plutôt convaincant. Cela rend le final un peu artificiel et assez décevant par rapport au reste des péripéties précédentes. Au petit jeu des préférences, on adore notamment tout le passage dans l’antre de l’araignée, mais aussi les séquences à l’intérieur de la forteresse, ainsi que celles dans le marais, avec les sables mouvants. Enfin, la plupart des plans filmés en extérieur dans les montagnes offrent également leur lot de sensations esthétiques.
Si l’on omet la présence d’un petit garçon – pas irritant au demeurant – on note assez peu de concessions au jeune public dans cette œuvre plutôt sérieuse. Pas de second degré ni de post-modernisme agaçant dans ce bel hommage à un cinéma d’aventures old school, à peine rehaussé de quelques pointes typiques des années 80 (les rayons lasers).
Krull, chronique d’un échec commercial injuste
Malgré cette proposition entièrement originale, Krull a déçu les attentes des producteurs lors de sa sortie. Ainsi, le long-métrage n’a cumulé que 16,5 millions de dollars sur le sol nord-américain pour une mise de départ élevée de plus de 27 millions. A Paris, le film n’est entré qu’à la douzième place la semaine de sa sortie avec 30 763 spectateurs, se faisant même largement doublé par la reprise de Fenêtre sur cour, un Hitchcock de 1954. Dans l’Hexagone, le pauvre blockbuster échoue à 376 517 spectateurs égarés, alors même qu’il fut présenté peu de temps avant au Festival d’Avoriaz..
Le désaveu fut tel que le film se trimbale depuis une réputation de navet parfaitement injustifiée. Certes, Krull n’est pas parfait, mais il offre un spectacle visuellement splendide qui est une alternative tout à fait recommandable aux classiques faisant désormais l’objet d’un culte auprès des geeks. La curiosité devrait les pousser à tenter l’aventure proposée par Peter Yates car elle doit impérativement être réévaluée.
Critique de Virgile Dumez