Sur un thème original, Jumbo est un premier film valeureux qui déploie de vrais charmes visuels dans un univers poétique décalé. Noémie Merlant et Emmanuelle Bercot y sont formidables.
Synopsis : Jeanne, une jeune femme timide, travaille comme gardienne de nuit dans un parc d’attraction. Elle vit une relation fusionnelle avec sa mère, l’extravertie Margarette. Alors qu’aucun homme n’arrive à trouver sa place au sein du duo que tout oppose, Jeanne développe d’étranges sentiments amoureux envers Jumbo, l’attraction phare du parc.
I’m a sex machine
Critique : Pour son premier long-métrage, après un parcours exceptionnel qui l’a menée aux Etats-Unis, la réalisatrice Zoé Wittock s’attaque à un sujet pour le moins original, à savoir l’objectophilie (qui désigne le désir sexuel éprouvé par un être humain pour des objets). Cette idée qui peut paraître saugrenue de prime abord est venue par la rencontre de Zoé Wittock avec Erika Eiffel qui est sujette à cet amour des objets inanimés et s’est mariée en 2007 à la tour Eiffel.
© Caroline Fauvet – © 2019 Insolence Productions – Les Films Fauves – Kwassa Films
Comme le personnage incarné par Emmanuelle Bercot dans le film, Zoé Wittock a d’abord eu un mouvement de rejet vis-à-vis d’une pratique aussi peu conventionnelle, avant de se raviser et de chercher à comprendre ce phénomène. Après de multiples recherches sur ce sujet, parfois lié à des troubles de l’autisme ou encore à des traumas, la jeune femme a décidé d’en faire le cœur de son premier long-métrage. Elle a fini par opter pour un manège de fête foraine – le Jumbo du titre – qui déclenche une folle passion chez Jeanne, jeune fille refermée sur elle-même et qui éprouve de grosses difficultés de communication.
Bienvenue dans le manège enchanté !
La jeune gardienne de nuit du parc d’attraction tombe donc littéralement amoureuse de cette gigantesque machine, de ses lumières clignotantes et de ses fluides dans des scènes qui confèrent au film une poésie certaine et une aura fantastique tout à fait plaisante. En fonction de sa sensibilité – plus poétique ou plus terre-à-terre – le spectateur pourra interpréter le long-métrage comme une vraie histoire d’amour partagée entre une machine animée et une femme, ou plus prosaïquement comme un fantasme d’une post-adolescente totalement décalée.
Noémie Merlant – Photo de Jumbo par © Williamk – © 2019 Insolence Productions – Les Films Fauves – Kwassa Films
La grande qualité du film de Zoé Wittock est de ne jamais prendre parti pour l’une ou l’autre option, laissant au spectateur la possibilité de choisir en fonction de sa sensibilité. Si le film fait la part belle à une description assez précise du milieu dans lequel baigne l’héroïne, il se permet aussi de nombreuses scènes quasiment oniriques qui ravissent les sens. On adore notamment la superbe scène d’amour conceptuelle où la jeune fille se retrouve dans un espace mental immaculé de blanc. On songe alors aux séquences les plus dingues de Under the Skin (Glazer, 2013) qui perdait Scarlett Johansson dans des espaces aux noirs abyssaux.
Coming out mécanique
Cet aspect fantastique remarquable ne doit pas faire oublier l’autre centre de gravité du film qui est la relation compliquée entre la fille (très impliquée Noémie Merlant dont on apprécie le jeu fiévreux) et sa mère. Incarnée par Emmanuelle Bercot qui mélange ici le jeu intense d’une Nathalie Baye avec la gouaille populaire d’une Clémentine Célarié, la mère est à la fois proche de sa fille, mais également dans le déni par rapport à l’absence frappante du géniteur. Ce père dont on ne saura presque rien est sans aucun doute au cœur du repli de la fille et du mal-être caché de la mère. Jumbo, en tant que machine, mais aussi les deux personnages masculins du film, vont servir de révélateur du malaise qui gangrène la relation mère-fille. Le tout débouche sur une résolution qui tient du délire poétique et que nous ne révélerons pas.
© 2019 Insolence Productions – Les Films Fauves – Kwassa Films
Finalement, Jumbo peut être considéré comme n’importe quel autre film sur un coming out. Certes, l’orientation sexuelle de la jeune fille est un peu plus originale que d’ordinaire, mais les réactions de l’entourage sont similaires à celles que l’on peut retrouver pour d’autres pratiques liées aux LGBTQ… et plus si affinités. Réalisé avec talent par une jeune femme qui sait déployer un beau dispositif formel, Jumbo bénéficie d’une photographie chatoyante et colorée de Thomas Buelens, ainsi que d’une musique électronique éthérée séduisante de Thomas Roussel.
Un univers poétique séduisant
Certes, le symbolisme est peut-être encore un peu trop évident, mais ce premier film a le grand mérite de s’écarter d’un certain cinéma français bourgeois et cartésien pour offrir une entrée passionnante dans un univers poétique devenu trop rare sur grand écran. Si l’on ajoute à cela une interprétation de très haute tenue, on tient donc là une première œuvre valeureuse qui mérite amplement sa sélection dans de nombreux festivals. On ne peut que regretter son échec commercial lié à la crise du coronavirus. On encourage donc les amoureux d’un cinéma d’auteur un peu perché à venir côtoyer ce Jumbo de très bonne compagnie.
Critique de Virgile Dumez
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