Magnifié par l’interprétation bouleversante de Vincent Lindon, Jouer avec le feu est un drame familial intense qui réfléchit à la radicalisation d’une partie de la jeunesse actuelle, sans pleinement approfondir son aspect politique.
Synopsis : Pierre élève seul ses deux fils. Louis, le cadet, réussit ses études et avance facilement dans la vie. Fus, l’aîné, part à la dérive. Fasciné par la violence et les rapports de force, il se rapproche de groupes d’extrême-droite, à l’opposé des valeurs de son père. Pierre assiste impuissant à l’emprise de ces fréquentations sur son fils. Peu à peu, l’amour cède place à l’incompréhension…
Quand la jeunesse dérive vers les extrêmes…
Critique : Plutôt connues pour leur travail sur des œuvres féministes, Delphine et Muriel Coulin changent radicalement de thématique avec leur troisième long métrage de fiction (après 17 filles en 2011 et Voir du pays en 2016). Ainsi, les deux sœurs adaptent ici le roman Ce qu’il faut de nuit de Laurent Petitmangin, centré sur le destin tragique d’un père et de ses deux fils, dont l’un intègre un groupe d’ultradroite. Il s’agit ici d’une histoire d’hommes, vue par deux femmes au regard plein d’empathie envers ce père qui tente d’élever au mieux ses deux garçons après le décès de sa femme.
© 2024 Felicita Films – Curiosa Films – France 3 Cinéma – Umedia. Tous droits réservés.
Pourtant quelque chose tourne mal et malgré une complicité réelle entre le paternel un brin taiseux et ses fils, un fossé commence à se creuser, notamment sur le plan idéologique. Le père, technicien de la SNCF et ancien syndicaliste, va assister de manière impuissante à la dérive de son ainé vers une droite violente qui entend exclure les immigrés de Lorraine et qui met en avant des valeurs virilistes faites de muscles, de combats de rue et de sang.
Jouer avec le feu pose des questions pertinentes
Bien entendu, Delphine et Muriel Coulin amènent le spectateur à réfléchir à l’émergence de ces mouvements de plus en plus populaires chez les jeunes, mais elles ont tendance à éviter l’obstacle en n’enfourchant pas pleinement l’aspect politique de cette histoire. Certes, Fus (excellent Benjamin Voisin en fils buté) dérive vers la droite extrême, mais son embrigadement aurait tout aussi bien pu être tourné vers l’islamisme radical ou une quelconque secte. Tout de même ancré dans une réalité sociale bien définie – nous sommes dans un ancien bassin d’emploi ruiné par le chômage – mais aussi dans un monde rongé par la défiance envers les élites parisiennes vues comme hautaines, Jouer avec le feu propose plusieurs pistes de réflexion sans vraiment les approfondir.
En fait, le drame analyse surtout la réaction de la famille lorsqu’elle constate que l’un de ses proches se perd sur une voie irréversible. Que faut-il faire face à un jeune homme radicalisé ? Faut-il le rejeter en bloc ? Faut-il essayer de le comprendre en ne coupant pas les ponts ? Les deux sœurs n’offrent pas de réponses à ces questions, mais elles parviennent à questionner le spectateur avec talent.
De l’amour paternel
Pour cela, elles ont pu s’appuyer sur un acteur majeur de sa génération. Vincent Lindon continue à incarner les héros du quotidien, ces hommes qui travaillent tous les jours pour nourrir leur famille et qui prennent en pleine figure les dérives de la société actuelle. Certes, son personnage n’est pas un monstre de communication, mais son amour inconditionnel envers ses fils saute aux yeux dès les premiers plans. Parfois maladroit dans sa façon de s’adresser à sa progéniture, mais toujours soucieux de bien faire, l’homme assume son rôle de père à deux cents pour cent. Dès lors, le spectateur souffre en même temps que lui lorsque la dérive du fils ainé semble irrésistible.
© 2024 Felicita Films – Curiosa Films – France 3 Cinéma – Umedia. Tous droits réservés.
Bien mené, le récit commence tout doucement, pour ensuite s’enfoncer dans une spirale tragique qui ne peut que toucher. Particulièrement bien écrit, Jouer avec le feu fait un léger faux pas lors du discours final de Vincent Lindon face aux juges. Alors que le long métrage réussissait à s’affranchir de tout moralisme, quelques phrases un peu sentencieuses nous dérangent par leur généralisation abusive. Cela ne dure pas très longtemps, et la fin très réussie compense largement ce petit raté lorsque le discours se fait trop explicite.
Le reste du temps, Jouer avec le feu parvient à ne pas se faire moralisateur en restant à hauteur d’hommes. Les réalisatrices ont notamment compris que l’on pouvait toucher à l’universel en racontant une histoire individuelle forte et intimiste.
Si Benjamin Voisin et Stefan Crepon sont parfaitement à l’aise en frangins complètement différents, mais complices, c’est assurément Vincent Lindon qui bouleverse durablement dans une composition absolument remarquable. Autant dire qu’il mérite amplement son prix d’interprétation décroché à la Mostra de Venise en 2024. Le comédien est assurément la meilleure raison d’aller voir ce long métrage intéressant en salles.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 22 janvier 2025
© 2024 Felicita Films – Curiosa Films – France 3 Cinéma – Umedia / Affiche : The Alamo. Tous droits réservés.
Biographies +
Muriel Coulin, Delphine Coulin, Vincent Lindon, Benjamin Voisin, Lucas Mortier, Stefan Crepon, Sophie Guillemin
Mots clés
Cinéma français, L’extrême droite au cinéma, La famille au cinéma, Les relations père-fils au cinéma