Entre néoréalisme et comédie à l’italienne, Il reste encore demain ressuscite le cinéma italien à l’ancienne avec un certain bonheur, tout en délivrant une charge contre la société patriarcale présente en Italie dans les années 40. Une réussite.
Synopsis : Mariée à Ivano, Delia, mère de trois enfants, vit à Rome dans la seconde moitié des années 40. La ville est alors partagée entre l’espoir né de la Libération et les difficultés matérielles engendrées par la guerre qui vient à peine de s’achever. Face à son mari autoritaire et violent, Delia ne trouve du réconfort qu’auprès de son amie Marisa avec qui elle partage des moments de légèreté et des confidences intimes. Leur routine morose prend fin au printemps, lorsque toute la famille en émoi s’apprête à célébrer les fiançailles imminentes de leur fille aînée, Marcella. Mais l’arrivée d’une lettre mystérieuse va tout bouleverser et pousser Delia à trouver le courage d’imaginer un avenir meilleur, et pas seulement pour elle-même.
Paola Cortellesi célèbre le retour de la comédie à l’italienne
Critique : Comédienne et humoriste très populaire en Italie, mais peu connue en France car la plupart de ses créations n’ont pas franchi les Alpes, Paola Cortellesi a déjà une vingtaine d’années de carrière derrière elle lorsqu’elle aborde l’écriture de scénarios. Il lui a encore fallu plusieurs années pour décider de passer derrière la caméra avec Il reste encore demain (2023). Son but était de retracer le parcours des femmes de l’Italie d’après-guerre qui s’apprêtaient à voter pour la première fois de l’histoire du pays – situation d’ailleurs comparable à celle de la France.
Photographie : Louisa Carcavale – © Universal France
Pour écrire le scénario, Paola Cortellesi, aidée de Furio Andreotti et Giulia Calenda, a mobilisé ses souvenirs de jeunesse, lorsque son arrière-grand-mère et sa grand-mère lui racontaient leur vie à l’époque où le machisme régnait en maître dans ce pays très catholique. Pourtant, si la réalisatrice a souhaité rendre hommage au cinéma néoréaliste de l’après-guerre en tournant son œuvre en noir et blanc et dans un format carré (durant uniquement les cinq premières minutes du film), Il reste encore demain semble davantage se rapprocher de la comédie à l’italienne comme on a pu les aimer dans les années 50-60.
Battre sa femme, une habitude bien ancrée dans l’Italie catholique d’après-guerre
Effectivement, même lorsque la cinéaste aborde la violence conjugale que subit son personnage, elle se débrouille pour ne jamais tomber dans la complaisance, le misérabilisme ou le glauque. Certains lui ont d’ailleurs reproché d’avoir esthétisé les moments brutaux entre conjoints en transformant le pugilat en danse suggestive. Pourtant, il ne s’agit aucunement d’une stratégie d’évitement, mais bien de tenter de poétiser un événement qui apparaît toutefois pour ce qu’il est réellement, à savoir une terrible violence, tue et acceptée par toutes et tous.
Bien entendu, le discours féministe de Paola Cortellesi s’inscrit délibérément dans la vague #MeToo, mais l’actrice a eu l’intelligence de situer son film dans les années 40, époque où le patriarcat était encore une norme incontestée dans le pays – tout comme en France. Dès lors, sa présentation d’hommes tous plus infects les uns que les autres passe mieux car elle n’oublie pas de rappeler que ces individus ont souvent combattu durant deux guerres – certains se compromettant avec l’occupant nazi. De quoi les rendre encore plus irascibles au point de se comporter en véritables tyrans domestiques. D’ailleurs, le grand-père (très juste Giorgio Colangeli) ne cesse de dévaloriser sa belle-fille, encourageant ainsi son fils (effrayant Valerio Mastandrea) à frapper son épouse car, comme il le dit bien, elle parle trop.
Une œuvre féministe non dénuée d’humour
Ainsi, la description de ce microcosme familial où les garçons ont le droit de tout faire et où la jeune fille (Romana Maggiora Vergano, une révélation) est sous surveillance constante avant d’être mariée à un bon parti, se révèle d’une belle pertinence, entrant en résonnance avec le passé de très nombreuses familles européennes, dont le comportement patriarcal était encouragé par l’Eglise catholique.
Photographie : Louisa Carcavale – © Universal France
Plutôt formée à l’école comique, Paola Cortellesi est parvenue à retrouver le charme des comédies italiennes des années 60 qui réussissaient à dénoncer une situation sociale scandaleuse tout en conservant un humour constant. Certes, son style n’est aucunement grinçant, mais elle parvient à nous faire rire à de nombreuses reprises. Enfin, la dernière demi-heure joue sur un habile suspense débouchant sur un twist plutôt étonnant, mais bien trouvé.
Il reste encore demain, un triomphe absolu en Italie
Finalement, malgré quelques belles trouvailles, on peut sûrement regretter le manque d’imagination dans la réalisation qui, sans la beauté des images en noir et blanc, manque parfois de charme dans les mouvements de caméra. Paola Cortellesi n’a sans doute pas osé dépasser le stade de l’hommage à un type de cinéma italien aujourd’hui disparu. Le résultat est plutôt réussi, mais demeure plus proche du pastiche que de l’invention personnelle.
En tout cas, Il reste encore demain a connu un destin hors normes en Italie puisque le film est devenu un véritable phénomène de société en réunissant 5,4 millions de spectateurs, arrivant ainsi en première place du box-office national de l’année 2023. Cela lui a rapporté la modique somme de 36,6 millions d’euros sur son seul territoire pour un budget initial de 8 millions. Le long-métrage a obtenu plusieurs prix au Festival du Film de Rome 2023 (dont le Meilleur premier film et le Prix du public), avant de se voir attribuer un nombre impressionnant de nominations aux David di Donatello pour finalement gagner six statuettes dont celles de la meilleure actrice et du meilleur scénario.
Box-office français du phénomène italien
En France, le métrage est sorti auréolé de son triomphe transalpin le 13 mars 2024, une semaine particulièrement chargée en films d’auteur comme Chroniques de Téhéran, La nouvelle femme, Mis Hermanos et bien d’autres encore. Mais le phénomène italien bénéficie d’un distributeur puissant (Universal France) qui le positionne dans 172 salles. Ainsi, le film attire 145 340 féministes dès son entame pour une troisième place nationale. La semaine suivante, Universal propose le film dans une trentaine de cinémas supplémentaires, ce qui lui permet de ne baisser que de 21% par rapport à la semaine précédente (113 550 retardataires).
Face à la demande, le distributeur injecte cette fois 569 copies et arrive à pousser son poulain dont la fréquentation augmente à 119 109 entrées, preuve d’un bouche à oreille convaincant. Très confiant en son pouvoir de fascination, Universal pousse jusqu’à 734 salles, mais la comédie dramatique commence à donner des signes de fatigue avec 87 633 spectatrices supplémentaires. En cinquième semaine, le film italien franchit le seuil des 500 000 entrées. Ensuite, le long métrage a été conservé par quelques cinémas jusqu’au mois de septembre pour atteindre 647 262 entrées. Un beau score pour un film italien, mais tout de même bien loin du phénomène transalpin.
Depuis le mois de juillet 2024, Il reste encore demain est disponible en DVD, mais aussi en blu-ray et en VOD. Il vaut assurément le coup d’œil.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 13 mars 2024
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Photographie : Louisa Carcavale – © Universal France
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Armando De Razza, Giorgio Colangeli, Valerio Mastandrea, Paola Cortellesi, Romana Maggiora Vergano
Mots clés
Cinéma italien, La famille au cinéma, Les violences faites aux femmes, Premier film, Noir et Blanc