En neuf saynètes filmées en plan fixe, Chroniques de Téhéran révèle le quotidien désespérant d’Iraniens aux prises avec les absurdités d’un régime entièrement fondé sur la charia. Un document intéressant et forcément énervant.
Synopsis : Un homme déclare la naissance de son fils. Une mère habille sa fille pour la rentrée. Une élève est convoquée par la directrice. Une jeune femme conteste une contravention. Une jeune fille se présente à un entretien d’embauche. Un jeune homme vient retirer son permis de conduire. Un homme au chômage répond à une annonce. Un réalisateur demande une autorisation de tournage. Une femme cherche à retrouver son chien. Neuf visages de la vie quotidienne à Téhéran.
Deux cinéastes courageux témoignent de la rigueur du régime iranien
Critique : Les cinéastes iraniens Ali Asgari et Alireza Khatami se sont rencontrés lors de festivals internationaux où leurs travaux respectifs furent présentés durant la décennie 2010. Petit à petit, les deux hommes se sont liés d’amitié, tout en débutant une coopération artistique. Ainsi, pour Juste une nuit (Ali Asgari, 2022), Alireza Khatami a participé à l’écriture du scénario. Alors qu’il prépare un nouveau long métrage intitulé The Things You Kill, Alireza Khatami apprend que le tournage a été annulé par les autorités iraniennes à la dernière minute – depuis le cinéaste est parvenu à le tourner pour une sortie prévue en 2025.
© 2023 Cynefilms – Seven Springs Pictures – Taat Films. Tous droits réservés.
Sur le moment, Alireza Khatami exprime son désarroi à son ami et ils prennent alors la décision de tourner un film en contrebande par rapport au régime des Mollah. C’est ainsi qu’est né Chroniques de Téhéran (2023), entièrement réalisé en sept jours sans aucune autorisation et en autoproduction. Les spectateurs doivent impérativement prendre conscience de ces conditions particulières de tournage avant de visionner ce film découpé en neuf séquences, toutes tournées en un unique plan séquence fixe.
Des acteurs qui risquent gros en s’exposant dans un tel brûlot
Le cadre très contraignant impose notamment de ne voir à l’écran qu’un seul personnage, tandis que son interlocuteur demeure hors champ, sa présence n’étant révélée que par la voix. Bien entendu, au vu des petites saynètes dévoilées ici, il n’était pas envisageable que le régime valide un tel projet. D’ailleurs, on peut saluer le courage des acteurs qui ont accepté de participer à cette entreprise, tant leur implication peut leur valoir de gros problèmes dans leur pays. Depuis le tournage, Sadaf Asgari, la nièce du réalisateur qui interprète ici une conductrice de taxi a été interdite de travail en Iran.
Même une actrice aussi établie que Gohar Kheirandish risque gros en jouant ici une femme d’un certain âge qui veut récupérer son chien au commissariat. Cette séquence, comme les précédentes, pousse le curseur assez loin dans l’absurdité et la dénonciation d’un régime religieux totalitaire. En fait, les deux auteurs ont choisi d’aborder des sujets banals du quotidien, comme simplement aller déclarer le prénom de son enfant à l’état civil, aller s’acheter un vêtement ou encore passer un entretien d’embauche. Mais à chaque fois, un grain de sable vient faire dérailler la machine administrative.
Quand la religion dicte sa loi à tous les niveaux de l’existence
Généralement, ce qui semblerait être un détail prend une importance considérable dans un pays où tout est scruté à l’aune de la charia. Il suffit d’un voile mal porté, de la fréquentation d’un homme dans un parc pour tout faire basculer. Bien entendu, la situation est encore pire si l’on est une femme, comme l’indique avec une belle pertinence l’entretien d’embauche d’une jeune fille qui doit refuser les avances poussives de son futur employeur, un odieux personnage resté hors champ pour encore mieux le déshumaniser.
© 2023 Cynefilms – Seven Springs Pictures – Taat Films. Tous droits réservés.
Certes, la mécanique des différents segments est répétitive, mais les cinéastes ont eu l’intelligence de varier les tonalités. Ainsi, certains segments s’avèrent plus légers que d’autres, même si tous insistent sur le manque flagrant de liberté dans un pays sclérosé par la religion. Parfois, les auteurs poussent le bouchon très loin, au point de vraiment scandaliser, preuve que l’Iran est devenu invivable, y compris pour ses habitants les plus proches du régime.
Dénoncer la censure et le totalitarisme, à tout prix
Dans un style quasiment documentaire épuré à l’extrême, Chroniques de Téhéran réussit à glacer les sangs en adoptant toujours une approche réaliste des situations. La seule véritable issue poétique intervient lors du dernier plan du film, lorsque les auteurs filment une vue de la ville qui s’effondre à la suite d’un tremblement de terre. Outre la référence religieuse à l’Apocalypse, on songe aussi au dernier plan de Fight Club (David Fincher, 1999), d’autant que les réalisateurs choisissent de faire intervenir une musique très rock pour la première fois dans leur œuvre.
Mais le segment le plus évocateur pour les cinéphiles du monde entier sera celui où un cinéaste passe devant la commission de censure des scripts et que celui-ci doit déchirer une à une les pages de son scénario car elles contreviennent aux lois établies par Dieu. Accablant. Film de combat qui vaut essentiellement pour ce qu’il révèle du quotidien vécu par les Iraniens, Chroniques de Téhéran est donc un film très intéressant, même si limité par sa charte esthétique et ses moyens rachitiques.
Un bel écho français après sa présentation cannoise
Présenté au Festival de Cannes en 2023 dans la section Un Certain Regard, Chroniques de Téhéran a réussi à trouver un soutien auprès du distributeur français ARP Sélection qui lui a permis de s’épanouir sur une combinaison de 95 écrans dès le 13 mars 2024. Avec 33 572 entrées dès sa semaine d’investiture, Chroniques de Téhéran a su interpeller les spectateurs, d’autant que le métrage était soutenu par le réseau d’Amnesty International qui a organisé de nombreuses séances de débats. Il faut dire que la durée ramassée (1h17min) se prêtait bien à l’exercice.
Grâce à un bouche à oreille favorable, le métrage se maintient parfaitement en deuxième septaine (25 017 humanistes en plus). La chute est encore minime en troisième semaine et le film aborde déjà les 75 000 entrées, ayant plus que doublé sa semaine inaugurale. Par la suite, Chroniques de Téhéran va continuer son tour des salles d’art et essai durant de longues semaines puisqu’il n’est retiré de l’affiche qu’à la fin du mois de juin, cumulant 100 608 entrées, ce qui est un bien joli résultat au vu de la modestie extrême du projet.
Si le film est désormais disponible en VOD, il ne semble pas avoir fait l’objet d’une sortie en support physique, du moins en ce mois de février 2025.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 13 mars 2024
Voir le film en VOD
© 2023 Cynefilms – Seven Springs Pictures – Taat Films / Affiche : Caractères. Tous droits réservés.
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Sadaf Asgari, Behnaz Jafari, Ali Asgari, Alireza Khatami, Gohar Kheirandish