Reboot malin, Godzilla Minus One revient aux origines de la saga et propose un spectacle impressionnant, mais qui n’oublie pas de raconter une histoire et qui propose des personnages humains intéressants. Une réussite.
Synopsis : Le Japon se remet à grand peine de la Seconde Guerre mondiale qu’un péril gigantesque émerge au large de Tokyo. Koichi, un kamikaze déserteur traumatisé par sa première confrontation avec Godzilla, voit là l’occasion de racheter sa conduite pendant la guerre.
Godzilla Minus One, plus métaphorique que jamais
Critique : Lorsqu’en 2016 sort Godzilla Resurgence (ou Shin Godzilla), il s’agissait pour la firme Tōhō de relancer une franchise éteinte depuis une douzaine d’années au Japon. Le métrage inaugurait l’ère Reiwa de la saga. Entre-temps, les Américains de chez Warner ont décidé d’exploiter le filon à travers plusieurs longs-métrages qui devaient donner naissance à un MonsterVerse, ou univers partagé sur le modèle des films Marvel. Cela a donné quelques films médiocres qui n’ont abouti qu’à des déceptions. Même si les amateurs de kaijū eiga ont plutôt apprécié Shin Godzilla (Shinji Higuchi et Hideaki Anno, 2016), ce reboot valait surtout le coup pour le design actualisé de la créature et pour ses scènes de destruction. En revanche, le métrage se complaisait dans des scènes de palabres interminables à l’intérieur des ministères, comme dans de trop nombreux films de la saga.
Autant dire que l’annonce d’un énième reboot n’était pas pour soulever une vague d’enthousiasme folle, même si le réalisateur Takashi Yamazaki affirmait avoir travaillé sur le scénario pendant les trois ans de la pandémie de Covid-19. Au vu du résultat final, on le croit pourtant aisément tant le long-métrage paraît bien mieux écrit qu’à l’accoutumée. Effectivement, l’excellente idée de Godzilla Minus One est de revenir aux origines de la saga en la situant directement après le désastre nucléaire de la Seconde Guerre mondiale. Au passage, le cinéaste retrouve ici une thématique qui semble obsessionnelle chez lui puisqu’il a déjà réalisé un film historique autour de la figure sacrificielle du kamikaze (le bien nommé Kamikaze : Le dernier assaut en 2013). Ainsi, la créature monstrueuse peut à nouveau être vue comme une métaphore directe des ravages de la guerre et de la bombe sur la nation japonaise.
Un film qui prend le temps de développer ses personnages humains
Autre excellente initiative de la part de Takashi Yamazaki, les protagonistes humains sont incarnés par des acteurs aux rôles complexes et le long-métrage ne peut aucunement se réduire à un film catastrophe puisqu’il ne sacrifie jamais ses personnages sur l’autel du spectaculaire. Cela frustrera peut-être ceux qui voulaient voir de l’action non-stop, mais Godzilla Minus One est aussi un drame humain qui prend même parfois des accents de mélodrame. En fait, l’auteur prend le temps de nous présenter les différents protagonistes et de leur octroyer une psychologie. Ainsi, lorsque l’action se déchaîne enfin, le spectateur ne peut que ressentir de l’effroi face à leur destin, parfois tragique.
Bien entendu, cette dimension humaine n’empêche nullement le film de proposer plusieurs séquences impressionnantes, d’autant que les effets spéciaux sont particulièrement performants. Quand on songe que le réalisateur ne disposait que de 15 millions de dollars, soit dix fois moins que les Américains pour un résultat miteux, cela laisse rêveur. Ici, le monstre fait vraiment peur car le cinéaste a eu l’intelligence de faire varier les échelles de plan. Montré aussi bien en vue aérienne qu’à hauteur d’être humain, le monstre apparaît dans tout son gigantisme destructeur. Placés au cœur de l’action, les protagonistes principaux ne sont plus seulement des témoins, comme trop souvent dans la saga, mais bien des êtres en danger de mort.
Godzilla Minus One n’est pas dépourvu de climax
Pour cela, le cinéaste n’a pas lésiné sur les scènes spectaculaires, avec la destruction complète d’un navire de guerre, et surtout les dégâts occasionnés par la créature dans une ville japonaise. Il en profite d’ailleurs pour signer une séquence extraordinaire où Godzilla se sert de sa puissance atomique pour détruire une portion de ville. Outre la maestria des effets spéciaux, la séquence file la chair de poule comme autrefois la scène de destruction massive de Terminator 2 : le jugement dernier (James Cameron, 1991). Mieux, elle se conclue par un climax émotionnel lorsque le spectateur comprend qu’un personnage central vient de mourir et que l’acteur Ryūnosuke Kamiki nous gratifie d’un hurlement de désespoir, le tout sur une musique ascensionnelle de toute beauté. Cela faisait bien longtemps que l’on n’avait pas ressenti une telle intensité dramatique au cinéma, du moins au sein d’un blockbuster.
Malgré ces séquences superbes, Godzilla Minus One n’est pas exempt de quelques défauts comme sa fin trop ouvertement heureuse et convoquant une nécessaire suite. On peut également trouver irritant son point de vue à la fois nationaliste et surtout populiste lorsque les auteurs égratignent leur gouvernement et font appel au bon sens populaire comme étant le seul valable. Si cela se justifie d’un point de vue historique, le cinéaste insiste un peu trop sur ce point et semble surtout livrer une critique actuelle des gouvernants japonais. On préfère donc retenir in fine son appel à la paix et à l’amour, plutôt que ses quelques envolées guerrières en évidente contradiction avec le propos général du film.
Y a pas de lézard, on tient le meilleur Godzilla depuis longtemps
En tout état de cause, Godzilla Minus One est bel et bien la réussite tant attendue et son triomphe, aussi bien au Japon (avec environ 36 millions de dollars de recettes) qu’aux Etats-Unis (plus de 50 millions de billets verts) est largement mérité.
En France, le distributeur Piece of Magic Entertainment France a souhaité créer l’événement en ne diffusant le long-métrage que durant deux jours (les 7 et 8 décembre 2023) dans des salles spécialisées comprenant notamment des techniques IMAX ou 4DX. Le public fut au rendez-vous avec 16 425 entrées sur toute la France. Face à la demande pressante d’un public conquis, le distributeur a choisi de reprendre le long-métrage durant une durée de quinze jours à compter du 17 janvier 2024. Le spectacle ne doit pas être manqué, tant il réserve son lot d’émotions fortes et de surprises.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 17 janvier 2024
Biographies +
Takashi Yamazaki, Sakura Andô, Ryūnosuke Kamiki, Minami Hamabe, Hidetaka Yoshioka
Mots clés
Film de monstre, Kaiju Eiga, La franchise Godzilla, Les catastrophes nucléaires au cinéma