Divisé en trois longs plans-séquence d’une grande virtuosité, Evolution évoque les conséquences de la Shoah sur plusieurs générations avec intensité et volonté de regarder désormais vers l’avenir pour la population juive. Un beau film, assurément.
Synopsis : D’un souvenir fantasmé de la Seconde Guerre mondiale au Berlin contemporain, Evolution suit trois générations d’une famille marquée par l’Histoire. La douleur d’Eva, l’enfant miraculée des camps, se transmet à sa fille Lena, puis à son petit-fils, Jonas. Jusqu’à ce que celui-ci brise, d’un geste d’amour, la mécanique du traumatisme.
Un sujet difficile et très personnel pour la scénariste Kata Wéber
Critique : Epoux à la ville de l’actrice et scénariste Kata Wéber, le réalisateur hongrois Kornél Mundruczó a déjà collaboré étroitement avec sa conjointe sur ses précédents projets. Toutefois, ils ont poussé cette association à son maximum avec Evolution (2021) qui traite d’un sujet très personnel pour Kata Wéber. Effectivement, la scénariste raconte ici l’histoire de sa propre famille juive rescapée des camps de la mort, le tout sur plusieurs générations. Elle évoque aussi l’impact que cela a eu sur sa propre vie et celle de son fils. Du coup, la scénariste est parfois créditée comme coréalisatrice du film, alors que le tournage a bien été exécuté uniquement par Kornél Mundruczó.
Il est d’autant plus important de rappeler cet état de fait que l’aspect technique d’Evolution est tout à fait fondamental. Divisé en trois parties afin d’évoquer trois générations différentes, le drame intense a été tourné en trois longs plans-séquence virtuoses (en réalité, le cinéaste a eu recours à quelques petites tricheries, comme autrefois Alfred Hitchcock sur La corde, ce qui ne retire rien à la maestria de l’ensemble). A chaque partie correspond aussi un style assez différent qui correspond aux sentiments dégagés par la situation.
Evolution propose un premier plan-séquence inoubliable
La partie la plus intense et la plus dingue est assurément la première qui se situe dans le camp d’extermination d’Auschwitz et plus exactement au moment de la libération par les Soviétiques. Le film commence d’ailleurs par cette longue séquence muette où trois hommes nettoient ce qui semble avoir été une chambre à gaz. Le ballet qui se joue devant nos yeux devient fortement anxiogène lorsque des traces humaines commencent à sourdre des murs, notamment des cheveux.
Le film bascule ainsi dans le fantastique – un genre que chérit le réalisateur depuis White God en 2014 – avec des cadrages qui rappellent à la fois les réussites formelles d’un Béla Tarr ou encore de László Nemes sur Le fils de Saul (2015). Toutefois, l’émotion est à son comble lorsque les hommes parviennent à extraire des décombres une petite fille traumatisée dont le regard désespéré nous prend littéralement aux tripes. La caméra qui s’élève pour dévoiler petit à petit le camp nous plonge finalement encore plus profondément dans l’horreur et Evolution semble arriver à un point de perfection qui, malheureusement, ne sera plus jamais atteint par la suite.
Un deuxième acte bergmanien
Le cinéaste nous transporte plusieurs décennies après cet événement traumatique. Le bébé sauvé est désormais une grand-mère qui commence à perdre la tête et qui se livre à un véritable affrontement verbal et psychologique avec sa fille quadra. Dans cette partie, on abandonne le style des pays de l’Est pour se lover dans un drame qui évoque plutôt Ingmar Bergman. Le plan-séquence d’une durée de 38 minutes est toutefois impressionnant de maîtrise, d’autant que le cinéaste s’amuse à défier les lois de la gravité et ne cesse de multiplier les changements d’axe de manière virtuose. Mieux, il intègre également dans cet affrontement verbal une dimension onirique en toute fin qui saisit à nouveau le spectateur. On signalera ici le brio des deux actrices Lili Monori et Annamária Láng qui ont heureusement une grande expérience théâtrale car le texte à retenir était particulièrement dense.
Enfin, la troisième partie se situe en Allemagne et suit plutôt le destin du jeune Jonas qui doit vivre sa judéité dans le plus grand secret afin de ne pas être ostracisé par ses camarades. Toutefois, lui-même ne supporte pas la tendance de sa mère à tout ramener à l’antisémitisme et il finira par s’enticher d’une camarade musulmane jusqu’à un plan final qui table sur l’avenir et la capacité de résilience des peuples. Cette dernière partie, intéressante et formellement brillante, respire davantage l’optimisme et permet de sortir de ce long-métrage éprouvant avec de bonnes ondes en tête.
Un beau film passé inaperçu et qui mérite une seconde chance
On peut toutefois regretter qu’il ne maintienne pas l’intensité du début sur toute la durée du film, ce qui en aurait fait un chef d’œuvre absolu. En l’état, Evolution est un excellent film dramatique qui évoque avec brio le poids de la grande Histoire sur les destins individuels, et ceci par-delà les générations. Sorti au mois de mai 2022 en France, le long-métrage n’a attiré que 15 000 cinéphiles dans les salles, à une époque où l’art et essai semble délaissé par les spectateurs. Il est toujours temps de se rattraper avec la parution du film en DVD.
Critique de Virgile Dumez
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