Almodovar signe, avec Douleur et gloire, son œuvre la plus personnelle avec ce nouvel opus parfaitement maîtrisé qui suit les errances dépressives d’un cinéaste à l’heure du bilan. A la fois torturé et traversé de moments magnifiquement apaisés, le film mériterait bien une récompense à Cannes.
Synopsis : Une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie d’un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner.
Douleur et gloire, Almodovar à son meilleur
Critique : Alors qu’il a retrouvé de sa superbe avec le magnifique Julieta tourné en 2016, le réalisateur Pedro Almodovar confirme avec son nouveau long-métrage la bonne santé de son cinéma après un sérieux passage à vide au début de la décennie. Ici, il se livre à un exercice casse-gueule puisqu’il s’agit d’une introspection personnelle au cœur de ses interrogations les plus intimes. Il est toujours risqué de se livrer ainsi au risque de paraître égocentrique aux yeux du public. Pourtant, l’écueil est évité dans Douleur et gloire qui fait surtout preuve d’une sensibilité à fleur de peau. Certes, le réalisateur se décrit comme un hypocondriaque obsédé par ses problèmes de santé et rongé par l’angoisse de la page blanche. Toutefois, il livre surtout le portrait d’un homme à l’heure du bilan, thématique très personnelle, mais qui revêt un caractère universel pour qui traverse également ce difficile moment. Dépressif chronique depuis la disparition de sa mère quatre ans plus tôt, l’homme apparaît comme usé par l’existence, à la fois désireux de se retrancher du monde extérieur, et en même temps cherchant à mettre de l’ordre dans sa vie passée.
Un montage savant au service d’une œuvre maîtrisée, en particulier sur le plan esthétique
Copyright 2019 El Deseo D.A. S.L.U./Crédits photo : Manolo Pavón
La grande force du film d’Almodovar est de parvenir à s’affranchir de toute structure narrative ferme pour dresser le portrait d’un artiste au bout du rouleau, sans que l’on s’ennuie pour autant. Par la grâce d’un montage savant qui entremêle harmonieusement passages contemporains et souvenirs d’enfance plus ou moins fantasmés, le spectateur est invité à se lover dans l’univers torturé, mais également ouaté du cinéaste. Par une attention maniaque aux couleurs, au choix des musiques ou encore à la création d’une ambiance sonore sensuelle, Pedro Almodovar parvient à signifier son mal de vivre tout en délivrant une œuvre esthétiquement maîtrisée et apaisée. C’est finalement cette volonté du réalisateur de chercher à faire la paix avec ses démons – pêle-mêle ses histoires d’amour ratées, ses frustrations de cinéaste et bien entendu la drogue – qui touche véritablement le spectateur.
Des acteurs au sommet de leur art
On peut sans doute reprocher au cinéaste d’avoir évacué toute forme de psychologie en ce qui concerne les personnages qui gravitent autour d’Antonio Banderas. Si l’on excepte le personnage de la mère, tous les autres ne semblent pas avoir tant d’importance que cela pour lui, ce qui renforce encore un peu plus l’attachement du fils pour sa génitrice. Assez méconnaissable, Antonio Banderas parvient à nous étonner dans ce rôle inattendu qui révèle une autre facette de son talent. Toujours impeccable, Penelope Cruz incarne une figure maternelle forte comme les aime le cinéaste. On retrouve également avec plaisir Cecilia Roth (son actrice fétiche de Tout sur ma mère). Si Douleur et gloire ne sera assurément pas le film le plus populaire de son réalisateur à cause d’un manque de ressort dramatique capable de bouleverser les foules, il est la preuve flagrante de la maîtrise absolue d’un cinéaste au sommet de son art, capable de faire tenir l’intégralité d’un long-métrage sur des impressions fugitives, mais qui imprègnent durablement la rétine.
Critique de Virgile Dumez
Sorties de la semaine du 15 mai 2019
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