Dillinger est mort : la critique du film et le test blu-ray (1970)

Drame, Policier | 1h35min
Note de la rédaction :
9/10
9
Affiche de Dillinger est mort, reprise 2022 (Tamasa), avec Michel Piccoli

  • Réalisateur : Marco Ferreri
  • Acteurs : Annie Girardot, Michel Piccoli, Gino Lavagetto, Anita Pallenberg
  • Date de sortie: 11 Mar 1970
  • Année de production : 1969
  • Nationalité : Italien
  • Titre original : Dillinger è morto
  • Titres alternatifs : Dillinger halott (Hongrie), Dillinger ha muerto (Espagne), Dillinger Is Dead (Etats-Unis), Dillinger Morreu (Brésil)
  • Scénaristes : Marco Ferreri, Sergio Bazzini (screenplay)
  • D'après une histoire de : Marco Ferreri
  • Directeur de la photographie : Mario Vulpiani
  • Monteur : Mirella Mercio
  • Compositeur : Teo Usuelli
  • Producteurs : Ever Haggiag, Alfred Levy
  • Sociétés de production : Pegaso Cinematografica Ital-Noleggio Cinematografico
  • Distributeur : Ursulines Distribution
  • Distributeur reprise : Tamasa (2022)
  • Date de sortie reprise : 2 février 2022
  • Editeur vidéo : Opening (DVD, 2006), Filmedia (DVD, 2008), Tamasa (DVD-Blu-ray, 2022)
  • Date de sortie vidéo : 23 mai 2006 (DVD), 21 octobre 2008 (DVD, Collection Les Grands classiques du cinéma italien), 28 janvier 2022 (combo DVD-blu-ray)
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 38 893 entrées / 26 246 entrées
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.37:1 / Couleur (Eastmancolor, 35 mm) / Mono
  • Festivals et récompenses : Sélection officielle Cannes 1969, La Rochelle Film Festival (1993)
  • Illustrateur / Création graphique : © Tamasa Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © 1969 Movie7 Media Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Radical, austère, Dillinger est mort n’est pas d’un abord facile, mais à suivre Michel Piccoli dans sa drôle de soirée on sera surpris par la richesse d’une œuvre fascinante.

Synopsis : Un homme, en rentrant comme tous les soirs chez lui, trouve son épouse couchée, migraineuse. Alors qu’il se prépare à dîner. À la recherche d’ustensiles de cuisine, il trouve par hasard un revolver, caché dans un placard…

L’un des films les plus arides de Marco Ferreri

Critique : Admiré entre autres par Jean-Luc Godard, Dillinger est mort est l’un des films les plus difficiles, les plus arides de Marco Ferreri, mais, pour qui prend le temps de s’y plonger et de se laisser fasciner, l’un des plus fascinants. Construit (presque) en temps réel, il respecte (presque) les règles de la tragédie (unité de lieu, de temps et d’action), mais une tragédie évidée, absurde avec, certes, un déroulement tragique mais qui ne relève pas d’une conclusion logique. Il n’y a pour ainsi dire pas de péripéties, très peu de dialogues et si le son est très présent, c’est principalement par la radio et la télévision : on y parle très peu, et pour dire des banalités ou des mots dont le sens s’est perdu. Ainsi la bonne (Annie Girardot) répète-t-elle plusieurs fois « fatalement » ; dans notre hypothèse de tragédie dégradée, l’adverbe prend tout son sens, mais dans sa conversation amoureuse, il n’est qu’un signe inutile et vide.

Photo de Anita Pallenberg dans Dillinger est mort (1969)

Dillinger est mort © 1969 Movie7 Media, Tamasa Distribution. Tous droits réservés / All rights reserved

Quand l’homme franchit le seuil du vide reste l’aliénation

Le vide, la béance, c’est le grand sujet du film : un homme rentre chez lui, cuisine, trouve un revolver, le démonte, le remonte, va voir sa femme qui dort, sa bonne et maîtresse occasionnelle, tue son épouse et s’en va. Visiblement à l’aise financièrement (il dessine des masques à gaz), il est l’homme du refus, celui qui, pour une raison opaque, choisit de ne plus jouer le jeu. Si le thème est bien dans l’air du temps (le film a été tourné en 1968), on est loin du festif L’An 01 (Jacques Doillon, 1973) ou d’utopies alternatives. Dillinger parle certes d’aliénation, il ne parle même en un sens que de cela, mais ne propose pas de solution ni même d’échappatoire. Il s’intéresse plutôt aux multiples formes que peut prendre l’aliénation : télévision, radio, travail, rêves stéréotypés … La femme de Glauco ne cherche qu’à dormir, la bonne se pâme devant le portrait d’un chanteur à la mode (où l’on retrouve la réputation de misogynie de Marco Ferreri), et le protagoniste multiplie les évasions momentanées, par l’image et par le son (il y a une manière d’épuisement des moyens techniques de reproduction, télé, radio, disques, enregistreur, projecteur). Mais cette accumulation ne produit que du vide, comblé seulement par la préparation et la dégustation d’un repas, comme une annonce lointaine de La grande Bouffe (1973). Il est entouré d’objets inutiles ou de simulacres : faux singe, faux serpent, faux jardin … et quand il projette des films de vacances, il feint plongeon et nage face à des images de mer. C’est qu’au fond la vie qu’il mène n’est qu’une image de vie ; dès le pré-générique, il dit ne plus vouloir dessiner de masques, imperméable au discours ampoulé de son collaborateur. Ne plus faire comme si, ce sera aussi le sujet d’un autre film radical interprété par Piccoli : Themroc (Claude Faraldo, 1973). Mais Ferreri, moins brouillon, plus rigoureux, ausculte en temps quasi-réel une seule soirée, en réduisant le nombre de personnages (si l’on excepte le tout début et la fin, ils ne sont que trois), les dialogues et les actions. Ce faisant, il produit une sensation bizarre, que l’on pourrait qualifier d’« inquiétante étrangeté » : à y regarder de près, un flan que l’on secoue est une bien curieuse masse tremblante. Le monde en devient opaque, écho des bizarreries entendues à la radio (« les transports et les cercueils seront gratuits ») ou des scies musicales qui s’enchaînent en fond sonore insignifiant.

Les films sortis en 1970

Mais parmi tous ces objets, il en est un qui sort du lot, le revolver. Glauco le trouve enrobé dans un vieux journal qui annonce la mort de Dillinger ; constatant son état, il le démonte, le graisse, le remonte, le peint en rouge, ajoute des points blancs. Bref, il se comporte avec lui comme avec les autres, en le détournant dans un premier temps de son usage normal. Mais la fascination se fait grandissante, comme, plus tard, un porte-clés deviendra obsessionnel (I love you, 1986) et précipite la fin comme une évidence, sans dramatisation, sans préméditation. Cette fin signe aussi la fin de l’aliénation, mais Ferreri ne cherche pas à duper son spectateur : la toute fin, irréelle et somme de clichés, teintée artificiellement de rouge, n’a rien d’une solution, elle tient plutôt de la rêverie idéaliste contraire à tout ce qui a précédé.

Dillinger est mort : une inépuisable source d’interprétations à la hauteur de son auteur

Les films de Ferreri sont souvent des paraboles dont le sens s’émiette et se disperse. Rarement univoques, ils se parent de détails symboliques, parfois clairs (les poissons rouges dans leur bocal), parfois plus ouverts. De même les fins sont-elles énigmatiques, souvent en lien avec la mer, dernière frontière ou dernière barrière. Mais dans le cas de Dillinger est mort, le scénario est un modèle d’interprétations possibles. Outre la réflexion sur la société de consommation, le simulacre et l’absurdité de la vie, le film est aussi un documentaire sur Michel Piccoli, omniprésent, qui donne toute la mesure de son talent, oscillant entre under-playing et surjeu avec une facilité qui frôle le génie. Mais le métrage est tout autant une manière de manifeste cinématographique : la mort de Dillinger, c’est aussi le rejet du cinéma hollywoodien aliénant, de la péripétie et de la construction classique. Bref, une œuvre inépuisable, puissante malgré son apparent minimalisme.

François Bonini

Sélection officielle Cannes 1969

Sorties de la semaine du 11 mars 1970

Affiche de Dillinger est mort, reprise 2022 (Tamasa), avec Michel Piccoli

Dillinger est mort © 1969 Movie7 Media, Tamasa Distribution. Tous droits réservés / All rights reserved

Le test Blu-ray :

Complément et packaging : 3.5/5

L’habituel et riche commentaire de Gabriela Trujillo (32mn), après avoir évoqué le scénariste, les comédiens et la réception, analyse la portée symbolique de la fin et évoque l’intéressante notion de « sursis » comme moteur du film. A quoi s’ajoutent les bande-annonce de Dillinger est mort, qui vaut d’être vue pour son étrangeté quasi-psychédélique, du Lit conjugal et du Mari de la Femme à Barbe.

L’image : 4/5

Bien sûr, le temps a fait son œuvre et le film porte son âge, mais la restauration 4K propose une image nette, sans scories avec de très légères fluctuations. Le travail sur les couleurs en particulier est remarquable.

Son : 4/5

Dans ce film presque sans dialogue, c’est surtout pour la musique et les bruitages qu’on apprécie les deux pistes (VO ou VF), claires et bien restitués en HD Master Audio.

Critique du film et test blu-ray de François Bonini

Dillinger est mort, blu-ray et DVD reprise 2022 (Tamasa), avec Michel Piccoli

© 1969 Movie7 Media, Tamasa Distribution. Tous droits réservés / All rights reserved

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Affiche de Dillinger est mort, reprise 2022 (Tamasa), avec Michel Piccoli

Bande-annonce de Dillinger est mort

Drame, Policier

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