Faisant partie des romans porno valeureux, Confidentiel – Marché sexuel des filles confirme le talent du cinéaste Noboru Tanaka, tout en livrant une description sans fard de l’envers du miracle économique japonais.
Synopsis : À Osaka, la vie des prostituées du quartier pauvre de Kamagasaki est difficile. Tome, dix-neuf ans, vend ses charmes tout comme sa mère – une rivale. Un jour, elle quitte la maison close et décide de travailler en indépendante…
Un roman porno un peu plus original que la moyenne
Critique : Au cours des années 70, la crise du cinéma traditionnel japonais a imposé une refonte complète des studios locaux. Parmi eux, la Nikkatsu investit dans une collection de films érotiques généralement situés dans des périodes historiques anciennes et intitulée romans porno. Ce dernier terme ne doit pas égarer les spectateurs puisque ces longs métrages ne dépassent jamais le stade de l’érotisme, avec des interprètes simulant les actes sexuels. La charte de la Nikkatsu est simple : les réalisateurs ont tout loisir de livrer l’œuvre de leur choix, pour peu qu’une scène érotique intervienne toutes les dix minutes. Procédé putassier typique d’un certain cinéma d’exploitation.
Ce fut l’occasion pour certains cinéastes un peu plus audacieux que les autres d’expérimenter des formes novatrices. Parmi la pléthore d’artisans besogneux qui se sont frottés au genre, Noboru Tanaka fait clairement partie des plus talentueux, mettant à profit cette liberté pour varier les styles, y compris à l’intérieur du même film. Ainsi, pour (Confidentiel) Marché des filles, d’abord exploité en France sous le titre Marché sexuel des filles, le réalisateur fait le choix de promener sa caméra dans les quartiers interlopes de la ville d’Osaka en mode documentaire. Avec une caméra très mobile et dans un noir et blanc qui permet d’esthétiser l’image, Noboru Tanaka opte pour une intrigue contemporaine qui vient ausculter les énormes failles du miracle économique japonais.
Caché derrière la façade du miracle économique…
Ainsi, le film s’inscrit pleinement dans une série d’œuvres polémiques typiques de la contestation des cinéastes des années 60 en prenant le contrepied de l’image donnée du Japon par les cinéastes mainstream. Ici, le miracle économique réel connu par le Japon n’est aucunement visible à l’écran, si ce n’est lors de l’échappée quasi onirique (car en couleurs) dans le centre-ville luxueux d’Osaka. Le reste du long métrage se déroule dans les bidonvilles présents en périphérie où se concentre une faune totalement exclue du reste de la société japonaise, toujours très compartimentée. Ainsi, le cinéaste s’attache à suivre les pas des prostituées qui tentent de survivre dans des quartiers mal famés où tout s’achète et tout se vend.
Ici, l’héroïne – superbe Meika Seri – est une prostituée tout comme sa mère – excellente Genshû Hanayagi, par ailleurs une importante figure du féminisme japonais – et leur vie se déroule dans un cadre proprement sordide, enchaînant des clients tous plus odieux les uns que les autres. Si le réalisateur respecte le quota de scènes érotiques où les femmes sont malmenées, on notera qu’elles n’ont aucun valeur masturbatoire puisque les hommes sont décrits comme des brutes infames et les femmes comme des objets que l’on ne respecte jamais en tant qu’être humain. Contrairement à certains de ses confrères qui ont décrit avec une certaine jubilation les souffrances des femmes, le regard de Noboru Tanaka demeure en empathie avec ses héroïnes. Mieux, il fait de Meika Seri une véritable icone de l’anarchisme puisque celle-ci vend volontairement son corps et qu’elle maîtrise toujours la situation face à des hommes méprisables.
Du cinéma d’exploitation, mais avec un substrat politique marqué
Alors oui, (Confidentiel) Marché sexuel des filles est parfois un peu difficile à regarder tant il se complait à maltraiter les femmes, mais cela vient toujours renforcer un discours profondément féministe qui explique pourquoi les éditeurs contemporains continuent à proposer une telle œuvre aux cinéphiles. Bien plus qu’un simple film érotique, ce roman porno peut être rangé du côté des œuvres contestataires de Kôji Wakamatsu comme Quand l’embryon part braconner (1966) ou encore Les anges violés (1967). On notera d’ailleurs que le cinéaste frondeur a également tourné quelques films de la collection Confidentiel pour la Nikkatsu.
Appelant parfois à la révolte – l’épisode de la poupée gonflable pleine de gaz rappelle les attentats gauchistes de la fin des années 60 au Japon – Le marché sexuel des filles est donc une œuvre ambitieuse qui ne peut laisser indifférent, tant par sa cruauté que par sa volonté d’aborder des thèmes tabous, dont celui de la sexualité des handicapés ou encore l’inceste.
Une sortie en 1990 parmi 5 chefs d’oeuvre du cinéma érotique japonais
Réalisé avec talent, profitant d’interprètes de premier ordre qui donnent beaucoup de leur personne, (Confidentiel) Marché sexuel des filles peut être considéré comme un petit classique du roman porno.
Il a d’ailleurs été proposé au cinéma en France en 1990 dans une collection intitulée 5 chefs-d’œuvre du cinéma érotique japonais qui comprenait également La véritable histoire d’Abe Sada (1975), La maison des perversités, Rue de la joie et La barrière de la chair. Le programme a cumulé 20 868 entrées, avant que chaque film ne sorte en VHS, toujours par les bons soins du distributeur Films sans frontières. Depuis, (Confidentiel) Marché sexuel des filles n’a pas été réédité en DVD et il a donc fallu attendre sa restauration pour le voir paraître chez Carlotta Films en 2024.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 20 juin 1990
Acheter le blu-ray du film
Biographies +
Noboru Tanaka, Junko Miyashita, Meika Seri, Genshû Hanayagi
Mots clés
Cinéma japonais, 5 chefs d’oeuvre du cinéma érotique japonais, Films érotiques, La prostitution au cinéma, Les violences faites aux femmes