Western progressiste et humaniste, Ciel rouge permet à Robert Wise d’affirmer son talent de réalisateur, tout en offrant un beau rôle à Robert Mitchum. A redécouvrir.
Synopsis : Juste après la Guerre de Sécession, un cow-boy vagabond, Jim Garry, loue ses services à Tate Rilling et Jack Pindalest, deux spéculateurs qui tentent, sous une apparente respectabilité, de déposséder un riche éleveur de ses troupeaux. Ecœuré par leurs méthodes, Jim décide de quitter les deux escrocs et de rejoindre le camp de l’éleveur.
Le premier pas de Robert Wise vers des budgets plus conséquents
Critique : En 1948, le cinéaste Robert Wise est encore un petit réalisateur de série B employé par la RKO. Il a notamment à son actif quelques films d’horreur (La malédiction des hommes-chats en 1943 et Le récupérateur de cadavres en 1945) et des films noirs. On lui propose de passer à un stade supérieur en tournant une adaptation d’un roman de Luke Short intitulé Gunman’s Chance, publié en 1941. Short est alors un prolifique auteur de westerns dont l’œuvre a souvent servi de base à des scripts pour Hollywood. Ici, Robert Wise commence à aborder la production de série A puisqu’il fait tourner la jeune star Robert Mitchum dans un genre très porteur à l’époque. Ce qui deviendra Ciel rouge (1948) constitue donc une opportunité que le cinéaste ne peut refuser.
Si le scénario illustré est quelque peu routinier dans son évocation de la lutte acharnée entre les fermiers et les éleveurs pour la possession des vastes prairies américaines, Robert Wise va parvenir à dépasser ce simple cadre par des ajouts non négligeables. Tout d’abord, le réalisateur et son directeur de la photographie Nicholas Musuraca (qui a déjà à son actif la photo de La griffe du passé de Tourneur l’année précédente) optent pour une image très contrastée et expressionniste qui tranche avec celle du western traditionnel. Ainsi, dès les premiers plans sous la pluie, l’ambiance de Ciel rouge paraît plus sombre qu’à l’accoutumée. On comprend qu’il s’agira d’une œuvre sérieuse et non destinée à seulement divertir le spectateur.
Une esthétique proche du film noir
Visuellement proche du film noir qui était alors en vogue, Ciel rouge joue également la carte du drame à connotation sociale. Il se place ainsi dans une optique plus humaine et progressiste, établissant les bases de la filmographie d’un Robert Wise à la conscience sociale aiguisée. Ainsi, le héros n’est pas qu’un simple tueur à gages, mais il se dote d’une conscience qui lui interdit de tuer pour de mauvaises raisons. Le réalisateur se fait également très critique envers une mentalité américaine où l’on tire sur l’antagoniste avant d’avoir discuté. Il cible aussi les dérives de l’affairisme qui livre le pays aux mains d’une bande d’escrocs uniquement intéressés par leur profit personnel.
Si le film passe par toutes les étapes obligées du western classique, il bénéficie de quelques belles séquences qui offrent un visage plus humain à des personnages qui ne seraient autrement que des archétypes. On adore par exemple cette séquence où un père de famille déjà veuf apprend que son fiston vient de mourir lors d’échauffourées. Son désarroi est tout bonnement bouleversant, d’autant qu’il est interprété par un Walter Brennan au sommet de son talent. Face à lui, Robert Mitchum s’avère particulièrement convaincant dans ce rôle qu’il interprète avec beaucoup de profondeur. Sa nonchalance naturelle laisse transparaître à merveille les doutes et hésitations d’un homme qui cherche à s’amender et à changer d’existence.
D’excellents acteurs au service d’un discours humaniste
On est également séduit par le jeu affirmé de la jolie Barbara Bel Geddes (future maman Ewing de la série Dallas, mais qui fut aussi une grande dame de la scène). Celle-ci compose une jeune fille qui n’est pas qu’une potiche vouée à embrasser le héros. Elle possède un vrai caractère et affirme une belle personnalité de cinéma.
Sans doute plombé par un rythme un peu languissant, Ciel rouge n’est certainement pas un chef-d’œuvre, loin s’en faut, mais il s’agit d’un western progressiste qui fait preuve d’une véritable attention à ses personnages, tout en développant une esthétique sombre du meilleur effet. En cela, il devrait plaire aux amoureux du film noir. Il confirme aussi la valeur de Robert Wise qui allait enchaîner l’année suivante avec un film majeur sur la boxe intitulé Nous avons gagné ce soir (1949). Désormais oublié, Ciel rouge mérite donc largement un coup d’œil pour tous les cinéphiles qui aiment le Hollywood des années 40.
Critique de Virgile Dumez