Aidé par une musique électronique omniprésente et une actrice formidable, Chili 1976 propose une vision particulièrement anxiogène de la dictature chilienne de Pinochet. Efficacité garantie pour une première œuvre très réussie.
Synopsis : Chili, 1976. Trois ans après le coup d’état de Pinochet, Carmen part superviser la rénovation de la maison familiale en bord de mer. Son mari, ses enfants et petits-enfants vont et viennent pendant les vacances d’hiver. Lorsque le prêtre lui demande de s’occuper d’un jeune qu’il héberge en secret, Carmen se retrouve en terre inconnue, loin de la vie bourgeoise et tranquille à laquelle elle est habituée.
Un retour qui fâche dans le Chili de Pinochet
Critique : Révélée par le cinéaste Andrés Wood en 2004 et son film Mon ami Machuca qui a connu un joli succès international, l’actrice chilienne Manuela Martelli a ensuite suivi des études de cinéma en tant que réalisatrice. Après avoir tourné trois courts remarqués, la jeune femme entend réaliser son premier long-métrage portant sur la terrible période de la dictature de Pinochet. Comme point de départ, la réalisatrice s’est interrogée sur sa grand-mère qui s’est justement suicidée à cette époque. Au lieu de creuser véritablement son histoire familiale, elle s’est mise à imaginer la vie de cette femme de la bourgeoisie qui ne s’était visiblement pas adaptée à son rôle de potiche au sein d’un foyer trop calme pour être honnête.
Après une longue phase d’écriture, ce qui allait devenir Chili 1976 a mis plus de trois années avant de recevoir une aide à la production de la part de l’Etat chilien. Il faut dire que le sujet ne plaidait guère en la faveur de la réalisatrice novice, puisque le Chili rechigne toujours à évoquer l’époque de la dictature des années 70, pourtant responsable de plusieurs milliers de morts selon les historiens les plus fiables.
Aline Küppenheim ou la révélation d’une grande actrice chilienne
De son côté, Manuela Martelli a reçu le soutien financier de son mentor Andrés Wood, mais aussi des aides de la part de donateurs privés venus d’Argentine ou encore du Qatar. Afin d’incarner le rôle féminin principal qui devait être de tous les plans, Manuela Martelli a obtenu l’accord de l’actrice Aline Küppenheim, célèbre au Chili pour ses rôles multiples dans des télénovelas et déjà sa partenaire de jeu dans Mon ami Machuca, près de vingt ans auparavant. Et il faut avouer que le choix de la comédienne s’avère parfaitement judicieux tant elle illumine l’écran de sa présence magnétique.
Le spectateur est donc convié, et ceci dès la scène pré-générique, à suivre les aventures d’une femme de la haute bourgeoisie chilienne dont la vie quotidienne semble réglée comme du papier à musique. Apparemment uniquement occupée à meubler et décorer sa maison de bord de mer, Carmen (Aline Küppenheim, donc) va rapidement être rattrapée par le durcissement de la dictature de Pinochet, puisque nous sommes en 1976, année charnière pour le pays. Si les enlèvements se déroulent toujours hors champ comme pour mieux signifier l’indifférence de la classe bourgeoise, le spectateur sent poindre une angoisse de plus en plus réelle autour du personnage principal.
Chili 1976, un film politique doublé d’un thriller angoissant
Lorsqu’un prêtre (interprété par Hugo Medina qui fut une victime de la dictature) lui demande de soigner un repris de justice dans le plus grand secret, Carmen passe en quelque sorte de l’autre côté du miroir et prend conscience des horreurs qui se déroulent dans les arrière-cours d’un Etat qui soigne les apparences, tout en institutionalisant l’usage de la torture et de l’assassinat politique. Dès ce moment, Chili 1976 prend des allures de thriller en s’appuyant sur une musique électronique vrombissante qui crée une tension de chaque instant. Même durant des scènes familiales apparemment anodines, la musique assez expérimentale s’invite à la fête et vient rappeler à quel point la menace est présente à chaque instant.
Chili 1976 devient alors un film plutôt anxiogène, voire franchement paranoïaque dans lequel le spectateur tremble pour cette femme résistante. Non seulement sa vie lui apparaît dans toute sa vacuité, mais elle ne peut que vomir son entourage dont les prises de position réactionnaires filent la nausée. Réalisé avec talent à l’aide d’une photographie lumineuse qui tranche franchement avec la noirceur de l’époque abordée, Chili 1976 emporte le spectateur dans sa spirale de violence politique, en laissant pourtant tout acte barbare hors champ. L’efficacité n’en est que plus grande pour cette œuvre choc qui se termine sur une splendide fête d’anniversaire où le visage décomposé de l’actrice en dit long comparé à la joie factice qui s’affiche sur tous les visages de sa famille.
Un petit tour par Cannes et les Etats-Unis
Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes en 2022, Chili 1976 n’a guère connu le succès dans son pays d’origine où le sujet est encore clivant, mais il a bénéficié d’une sortie dans de nombreux pays étrangers comme l’Argentine et également les Etats-Unis où il a glané 165 958 $ de recettes. En France, il a fallu attendre le mois de mars 2023 pour le voir sur les écrans grâce aux efforts de Dulac Distribution.
Malheureusement, en ce mercredi 22 mars 2023, Chili 1976 n’a guère performé à Paris / 14h avec seulement 187 entrées dans 8 salles. Au bout d’une semaine, le drame a attiré 6 831 Parisiens qui seront finalement 12 829 à avoir fait le déplacement en quelques semaines d’exploitation. Sur la France entière, le métrage valeureux a convaincu 50 273 cinéphiles au bout de 11 semaines d’exploitation, preuve d’un certain maintien au fil du temps.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 22 mars 2023
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Manuela Martelli, Aline Küppenheim, Nicolás Sepúlveda, Hugo Medina
Mots clés
Cinéma chilien, La dictature au cinéma, Portrait de femmes, Quinzaine des Réalisateurs (Cannes 2022)