Benvenuta est une œuvre rigoureuse, esthétiquement superbe et ambitieuse qui ravit davantage l’esprit qu’il ne suscite d’émotions. Il s’agit tout de même d’une belle réussite au cœur du cinéma complexe d’André Delvaux.
Synopsis : Jeanne, une romancière vivant à Gand, écrivit jadis la chronique scandaleuse d’un amour, celui de Livio et Benvenuta. Un jeune scénariste tente d’en découvrir les détails pour en faire un film. Au contact du jeune homme et au gré de ses confidences ou de ses mensonges, Jeanne revit cette passion absolue, réelle ou inventée.
Le réalisme magique d’André Delvaux à l’œuvre
Critique : Esthète, pianiste et également pionnier d’un vrai cinéma belge, André Delvaux a été révélé au public et surtout aux critiques avec son second long-métrage intitulé Un soir, un train (1968), porté par le couple Yves Montand – Anouk Aimée. Pour André Delvaux, il s’agissait de faire entrer le fantastique et l’onirisme au cœur du quotidien. Il a ainsi pu développer l’idée de créer un « réalisme magique » qu’il n’a eu de cesse d’explorer dans ses œuvres suivantes dont font partie notamment Rendez-vous à Bray (1971), Belle (1973) et également Benvenuta (1983).
A chaque fois, le cinéaste s’appuie sur un matériau littéraire solide. Pour Benvenuta, il adapte à l’écran un roman La confession anonyme de Suzanne Lilar publié initialement en 1960 et réédité en 1980. Ce livre de confessions d’une femme amoureuse était le terreau parfait pour André Delvaux qui en a même complexifié les enjeux en introduisant une narration plus tortueuse. Ainsi, le film raconte à la fois la rencontre entre un scénariste (Mathieu Carrière) et une romancière cloitrée chez elle (excellente Françoise Fabian) et l’histoire fictive (ou non ?) de l’amour inconditionnel d’une femme (magnifique Fanny Ardant) et d’un vieux séducteur italien (charismatique Vittorio Gassman).
Benvenuta, un jeu narratif subtil et complexe
Très rapidement, le spectateur est amené à jongler entre différents niveaux de narration puisque la réalité et la fiction ne cessent de se recouper. Pire, il y a également l’inclusion de flashbacks à l’intérieur du récit fictionnel, tandis que certains passages basculent carrément dans le fantastique avec intrusion de personnages morts au sein du dialogue entre vivants. Bref, André Delvaux s’amuse ici à explorer tous les possibles narratifs et il le fait avec beaucoup de brio puisque le spectateur est déstabilisé, certes, mais jamais perdu. On sent donc ici toute la méticulosité d’un auteur qui était effectivement connu pour son obsession des détails.
Outre ce brio scénaristique, Benvenuta fait aussi preuve d’un travail esthétique de premier plan. Confrontant deux cultures très différentes (l’esprit flamand et l’Italie), André Delvaux semble tout de même plus à l’aise lorsqu’il décrit avec amour la ville de Gand que lorsqu’il se rend en Italie où il n’échappe pas toujours aux clichés. On adore notamment tout le travail effectué sur la photographie dans la partie belge où l’on retrouve la beauté des éclairages de la peinture flamande. Cela est moins pertinent dans la partie italienne, heureusement plus courte. On fera d’ailleurs le même reproche quant à l’interprétation, assez inégale par la faute d’une coproduction qui imposait certains noms sur l’affiche.
Un couple central malheureusement mal assorti
Alors que le jeu intériorisé de Fanny Ardant correspond parfaitement à son personnage, on reste davantage réservé quant à la faconde développée par Vittorio Gassman, sans aucun doute trop vieux pour le rôle, même si l’écart d’âge est bien mentionné dans les dialogues. En fait, malgré tous les efforts d’André Delvaux, on a bien du mal à croire en cette histoire d’amour fou entre deux acteurs dont l’alchimie ne fonctionne pas tout à fait. C’est sans aucun doute le gros point faible d’une œuvre par ailleurs exigeante et brillante sur le plan formel.
Finalement, Benvenuta doit être vu comme un long-métrage purement intellectuel qui échoue à transmettre la passion de ses personnages, mais qui ne cesse de susciter l’imaginaire littéraire du spectateur à travers des dialogues très écrits et particulièrement brillants. Aucunement destiné au grand public – comme le reste de la filmographie d’André Delvaux par ailleurs – Benvenuta saura séduire les amateurs d’un cinéma d’auteur européen exigeant et qui s’adresse avant tout à un auditoire épris de culture. Les autres risquent bien d’être éconduits par la rigueur même de sa réalisation et la complexité de sa narration alambiquée.
Un petit tour dans les salles françaises
Sorti dans les salles françaises le 7 septembre 1983, Benvenuta a pu disposer d’un parc de 11 salles sur la capitale, réalisant 22 373 entrées lors de sa semaine d’investiture pour une 11ème place hebdomadaire. Il multipliera par trois sa mise de départ.
Sur la France entière, Benvenuta arrive à percer à la 17ème place du classement la semaine de sa sortie avec 31 175 amoureuses dans les salles. La septaine suivante, le drame romanesque réunit encore 24 781 amants supplémentaires et, en semaine 3, il émarge à 16 406 retardataires. La suite se fait dans les marges des classements avec un résultat final à 118 756 entrées. Très loin donc des plus beaux succès du cinéaste qui, généralement, générait le double, voire le triple d’entrées.
Sorti en VHS chez UGC en 1984 et en DVD, en 2011, Benvenuta est méconnu des cinéphiles. Il mérite pourtant l’attention des cinéphiles exigeants, malgré les limites évoquées ci-dessus.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 7 septembre 1983
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André Delvaux, Fanny Ardant, Vittorio Gassman, Françoise Fabian, Mathieu Carrière, Claire Wauthion
Mots clés
Cinéma belge, Les histoires d’amour malheureuses au cinéma, L’Italie au cinéma