Chef d’œuvre quelque peu oublié du néoréalisme, Bandits à Orgosolo est un premier film remarquable, doté d’une photographie somptueuse, de paysages sardes sublimes et d’une intrigue pertinente. Un classique !
Synopsis : Au cœur de la montagne rocailleuse et désolée de Sardaigne, Michele veille sur son troupeau de moutons avec son jeune frère Giuseppe. Un jour, trois étrangers débarquent dans sa bergerie, recherchés par les carabiniers pour avoir volé des cochons. Michele va se retrouver accusé à tort du vol puis du meurtre d’un des gendarmes, perpétré par l’un des malfrats. Pour échapper à la prison, le berger décide de fuir dans la montagne en compagnie de son frère et de ses bêtes…
Vittorio De Seta, le regard attentif du documentariste
Critique : Issu d’une famille de la noblesse sicilienne compromise avec le fascisme, Vittorio De Seta (1923-2011) a découvert durant la Seconde Guerre mondiale la solidarité qui pouvait réunir des hommes de classes sociales différentes au combat. Il choisit de rompre avec son milieu d’origine en adoptant un point de vue sur le monde largement inspiré du marxisme. Finalement, il décide de devenir documentariste en parcourant avec son épouse Vera Gherarducci les terres arides du Mezzogiorno. Ainsi, il en profite pour filmer les paysans et pêcheurs lors de leurs travaux quotidiens, donnant naissance à un magnifique corpus de dix courts métrages, véritables documentaires ethnologiques réalisés entre 1955 et 1959.
Lors d’un voyage en Sardaigne, Vittorio De Seta et son épouse tombent sous le charme du village d’Orgosolo et de ses habitants. Ils leur consacrent un court documentaire intitulé Pastori di Orgosolo (1958). A force de revenir régulièrement dans ce village perdu dans les montagnes, les deux époux envisagent sérieusement d’y tourner un véritable film de fiction entièrement interprété par les habitants du coin, à la mode du néoréalisme. Certes, ce mouvement fait désormais partie de l’histoire ancienne en Italie, mais De Seta entend bien s’y référer pour mettre en images son Bandits à Orgosolo (1961).
L’omerta comme seul moyen de survie
A force de discussions avec les locaux, les deux auteurs ont compris que beaucoup de bandits sardes étaient en fait de simples paysans poussés au crime par la misère qui les frappe régulièrement. L’Etat italien ne faisant rien pour développer ces régions abandonnées de tous, l’unique rapport que les bergers entretiennent avec l’administration centrale passe par les forces de l’ordre. D’où une méfiance naturelle envers les autorités et le développement de l’omerta, la fameuse loi du silence qui règne partout dans ces contrées reculées.

© 1960 Titanus. Tous droits réservés.
Avec Bandits à Orgosolo, Vittorio De Seta signe un véritable chef d’œuvre qui saisit dès sa première séquence de chasse au gibier. Avec une maestria impressionnante, le réalisateur et son caméraman Luciano Tovoli suivent les évolutions des chiens qui traquent le gibier dans un relief escarpé. En réalité, cette scène se veut programmatique puisque l’ensemble du film s’avérera être une vaste chasse à l’homme. Le berger deviendra la proie à la suite d’un malentendu, et les carabinieri seront les impitoyables pisteurs.
Des plans tous plus somptueux les uns que les autres
Alors que le script est réduit à l’essentiel (la fuite d’un berger et de son jeune frère à travers la montagne après une terrible erreur judiciaire), Bandits à Orgosolo n’ennuie jamais grâce à une tension permanente liée à une réalisation très dynamique. Certes, le réalisateur prend le temps de filmer la grandiose nature qui l’entoure – magnifiée par un noir et blanc somptueux – mais il n’oublie jamais d’y inclure un élément qui fait avancer l’intrigue. Doté d’une photographie grandiose qui sublime les paysages rocailleux, le métrage en profite aussi pour montrer les gestes quotidiens des bergers sardes, ainsi que la rudesse de leur vie.
Voilà pourquoi il était absolument nécessaire d’avoir recours à des vrais bergers pour effectuer les bons gestes et pour pouvoir guider le troupeau de brebis dans la montagne. On signalera d’ailleurs l’engagement de la petite équipe de cinéma qui a vécu dans des conditions extrêmes durant tout le tournage, loin de toute ville et de toute infrastructure moderne. Malgré des conditions difficiles, le résultat à l’écran est tout bonnement bluffant.
De Seta, quelque part entre De Sica et les frères Taviani
Non seulement les acteurs non professionnels se révèlent excellents (même si le berger principal interprété par Michele Cossu a été doublé en réalité par le grand Gian Maria Volonté), mais ils possèdent parfois bien plus de charisme à l’écran que bon nombre de comédiens dits professionnels. Pour cela, Vittorio De Seta fut bien secondé par sa femme Vera Gherarducci qui a longtemps travaillé comme comédienne de théâtre.
Puissant dans sa démonstration, Bandits à Orgosolo peut largement être comparé au Voleur de bicyclette (Vittorio De Sica, 1948) puisqu’il en reprend la structure narrative : un homme resté digne toute sa vie va être poussé à mal agir pour pouvoir assurer sa survie et celle de son frère, perdant ainsi l’estime de lui-même. De Seta en profite pour faire vivre devant nos yeux tout un monde paysan qui a largement disparu depuis cette époque. Son cinéma se situe donc quelque part entre celui de Vittorio De Sica et celui des frères Taviani (on pense surtout à leurs nombreux drames ruraux).
Un grand succès critique, mais une déception commerciale
Présenté avec grand succès au Festival de Venise 1961, Bandits à Orgosolo a raflé le prix du meilleur premier film, largement mérité, ainsi que plusieurs prix parallèles, démontrant le coup de foudre des critiques pour ce chef d’œuvre instantané. Malheureusement, l’unanimité critique n’a pas offert au long métrage une distribution digne de ce nom, ni en Italie, ni en France.
A Paris, il sort à La Pagode à partir du mercredi 30 janvier 1963 en version originale sous-titrée et n’aura donc le droit qu’à une diffusion très limitée. Par la suite, le film est largement oublié, d’autant que Vittorio De Seta n’a pas vraiment réussi à transformer l’essai. Il a fallu attendre les années 2020 pour que le long métrage fasse l’objet d’une restauration 4K absolument magnifique. Ainsi, Carlotta Films a pu ressortir ce classique oublié à partir du 22 juin 2022 dans les salles obscures. Un an plus tard, l’éditeur le sort en DVD et blu-ray, dans une copie splendide. A ranger dans sa collection de cinéphiles !
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 30 janvier 1963
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© 1960 Titanus / Affiche : L’Etoile Graphique. Tous droits réservés.
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Mots clés
Cinéma italien, Festival de Venise 1961, Premier film, Le monde paysan au cinéma, L’injustice au cinéma, Le néoréalisme au cinéma