Au cœur du bois est la chronique d’une prostitution à l’ancienne dans le haut lieu symbolique du tapin qu’est le bois de Boulogne. Le réalisateur Claus Drexel y dépeint des portraits précieux, avec la même appétence sociologique pour les exclus de nos sociétés que dans Au bord du monde et America.
Synopsis : Dans le légendaire bois de Boulogne, Samantha, Isidro, Geneviève et les autres font le plus vieux métier du monde.
Entre confidences, humour et dignité, ils et elles nous emmènent au cœur du bois…
Au cœur du bois entre grandeur et décadence
Critique : Après un retour à la fiction en demi-teinte en 2020 (Sous les ponts de Paris, avec Catherine Frot), Claus Drexel retrouve l’aspiration dans le réalisme cru du cinéma du réel. Au cœur du bois investit l’espace public qui lui avait permis d’être applaudi avec Au bord du monde (2014), documentaire sur les sans-abris dans la Ville Lumière ; et America (2016), portrait d’une Amérique abîmée lors de la campagne électorale qui allait faire de Donald Trump le successeur de Barack Obama.
Dans Au cœur du bois, armé d’une caméra et d’un micro, il part à la rencontre des fantômes du bois de Boulogne, ces travailleurs du sexe qui officient des services à l’ancienne dans la clandestinité d’un lieu public où le client peut payer très cher les gâteries monnayées.
Les Brésiliennes du bois de Boulogne
Fidèle à son intérêt pour les exclus du monde, Claus Drexel donne la parole difficile à des êtres seuls, protagonistes d’un jeu de fantasmes assez cliché, où le maquillage est excessif et les apparats féminins pompiers. A l’écart de la prostitution en ligne et des mannes d’argent générées via des moyens adaptés au style de vie urbain contemporain, les prostitués d’Au cœur du bois professent dans une marginalité généralisée. Des hommes travestis, des personnes transexuelles souvent immigrées (en provenance du Brésil), des femmes qui ont fait du plus vieux métier du monde leur gagne-pain… Les témoignages ne manquent pas de diversité, certes, mais surtout d’émotions. Récits de peur, anecdotes d’angoisse, affirmations personnelles, évolutions professionnelles au sein d’une société qui n’a pas manqué de les imposer sans leur offrir la fraternité et l’égalité de soin (de Sécurité sociale et de retraite, elles n’auront pas). Les prostitués du bois de Boulogne ont bien des choses à dire, mais ont surtout la dureté d’une existence à porter sur leurs visages marqués.
La prostitution au cinéma
Claus Drexel écoute, laisse la caméra filmer des interventions complexes, mais libres. A l’instar de son parti pris de resituer le sinistre au cœur d’une beauté oppressante dans Au bord du monde, où les sans-abris déambulaient sur un fond de ville musée magnifiée par la photographie nocturne de Sylvain Leser, Drexel réutilise le procédé esthétique des peintures de Rembrandt et Goya. Il filme beau un bois où la misère suscite de la peine. Le contraste n’en est que plus remarquable.
Une œuvre de tempérament forte et passionnante
Les prostitués, victimes d’une vie qui leur a échappé, revendiquent aussi leur liberté. Certains remettent en question la loi socialiste de punir les clients et relancent d’inlassables débats en filigrane. Drexel écoute, capte les témoignages, mais ne laisse nullement transparaître un avis moralisateur dans une sociologie de la rue qui a la gouaille de ses personnalités, celles hautes en couleur de figures que l’on aurait pu retrouver ailleurs, chez Pedro Almodovar notamment.
Cette œuvre de tempérament confirme le talent de Claus Drexel, documentariste talentueux, à l’écoute de la marge de la société. En se soustrayant de ces récits abîmés de grandeur et décadence, il démontre une fois de plus son incroyable capacité à capter les douleurs de ceux que la société refuse d’écouter. Il offre une voix à des corps maltraités qui retrouvent la dignité qu’ils croyaient avoir perdu par la parole.
Le résultat est beau et toujours passionnant.