Comédie acerbe sur les rouages de la bureaucratie européenne, Adults in the room est le retour féroce de Costa-Gavras au sommet de son art qui saura semer la confusion quant à ses sentiments sur le Parlement européen. Un film absolument nécessaire.
Synopsis : Après sept années de crise, le pays est au bord du gouffre. Des élections, un souffle nouveau et deux hommes qui vont incarner l’espoir de sauver leur pays de l’emprise qu’il subit. Nommé par Alexis, Yanis va mener un combat sans merci dans les coulisses occultes et entre les portes closes du pouvoir européen. Là où l’arbitraire de l’austérité imposée prime sur l’humanité et la compassion. Là où vont se mettre en place des moyens de pression pour diviser les deux hommes. Là où se joue la destinée de leur peuple. Une tragédie grecque des temps modernes.
Une puissante satire politique
Critique : De la crise grecque qui a frappé le pays à l’issue de la récession mondiale de 2008, on se souvient immédiatement des articles dans certains organes de presse de droite, très durs vis-à-vis d’un peuple qui, selon eux, avaient abusé l’Europe pour se compromettre dans un système alternatif d’évasion fiscale et de mensonge. On a en mémoire la mine sévère de certains éditorialistes, notamment sur la chaîne d’information politique sensationnaliste BFM TV, face au tempétueux ministre des finances de Gauche radicale, Yanis Varoufakis. On se souvient aussi avoir beaucoup entendu François Hollande, alors président de la République, vanter la coopération avec l’Allemagne pour éviter la sortie de la Grèce de la zone euro, en lui proposant un énième plan d’aide… Des souvenirs frais qui prennent tout leur valeur ironique dans la puissante satire politique qu’est le nouveau Costa-Gavras.

Photo : Jessica Forde -Copyrights : KG Productions
Costa-Gavras plus pugnace que jamais
Le cinéaste grec par le sang, qui a quitté son pays jeune homme pour finalement faire une longue carrière en France, a toujours eu cette fibre politique pugnace. Son œuvre est dans sa quintessence le miroir du monde dans ce qu’il a eu de plus révoltant au XXe siècle, mais aussi au XXIe siècle avec son regard sur le traitement des migrants en Europe (Eden à l’Ouest) et celui sur la finance souveraine (Le couperet, Le capital).
Ses œuvres tranchantes ont démontré, en France, comme aux USA, ou dans les pays d’Amérique latine, dont il s’est aussi beaucoup intéressé, les dérives du pouvoir, y compris médiatique (Mad City). Le voir revenir aux affaires politiciennes de sa patrie, dans le cadre d’une coproduction franco-grecque, a quelque chose de jubilatoire et confère à ses revendications d’artiste une pertinence d’autant plus forte qu’on n’oublie pas ce qui reste peut-être son chef d’œuvre, Z qu’il réalisa en 1969, brûlot sur le coup d’État des colonels en Grèce. Il évoquait alors les pressions subies par la justice, les médias, dans un État devenu policier et autoritaire, où il était forcément question des dérives du pouvoir, leitmotiv de sa carrière engagée.
Adults in the room : jeu de coq au royaume de l’hypocrisie
En adaptant le témoignage de Yanis Varoufakis sur son passage aux finances de la Grèce, lorsque son pays était exsangue et acculé, dirigé par les souverainetés étrangères via la dette abyssale que le pays devait aux banques européennes, au FMI… , Costa-Gavras retrouve la fougue de ses plus grands films en puisant dans l’énergie du néophyte en politique qui, sans cravate et ni costume, débarquait au cœur d’une bureaucratie européenne, de l’Eurogroupe où tout n’est que manipulation, petites phrases, apparences : la juxtaposition du OFF et, deux minutes plus tard, du discours officiel que l’on vend aux journalistes, lors de conférences de presse, serait drôle si elle ne représentait pas la réalité de la politique, celle que l’on nous sert par conséquent, sur les dites chaînes d’informations, sans aucun recul. Il en ressort un constat accablant qui fait froid dans le dos.
Les pratiques décrites rabaissent le travail des politiciens à celui de communicants sans empathie, emmurés dans leur jeu bien peu démocratique. Les joueurs se livrent ensemble à des combats de coq entre hommes politiques tous puissants, à des gamineries, pour reprendre l’image du titre qui provient de Christine Lagarde qui, dans le film, est le seul personnage politique féminin d’importance à s’exprimer dans une phallocratie au sein de laquelle elle paraît plus équilibrée et humaine, car au-dessus de la mêlée véhémente de ces ego masculins. Elle voit en eux des gamins incapables de s’entendre alors qu’au cœur du problème, on parle d’un peuple asphyxié par les sacrifices sur les salaires, une nation au bout du rouleau.

Photo : Jessica Forde -Copyrights : KG Productions
Trop de bla bla… Gavras dénonce la coquille vide de la politique
Yanis Varoufakis, à l’origine du livre Adults in the room, a forcément le beau rôle dans le film, fougueux, déterminé, animé par des idéaux de gauche, de démocratie, et sûrement conforté par le Premier ministre Alexis Tsipras et le parti Syriza. Le Premier ministre grec est montré comme hésitant, faible face à une Angela Merkel qu’il croit sincère et bienveillante à son égard, ici véritable femme de l’ombre, car dans le film, ce sont les réunions de l’Eurogroupe, des cessions informelles entre les ministres des Finances des États membre de la Zone euro, qui sont mis en scène. François Hollande et la gardienne de la rigueur teutonne brillent par leurs absences physiques, comme si les décisions étaient finalement prises par d’autres, et notamment par l’étonnant ministre des Finances allemand, le très redouté Wolfgang Schäuble, homme froid, intransigeant, incapable de la moindre concession, qui fait la météo sur l’Europe, tout en ayant des rapports peu chaleureux avec la Chancelière. Son rôle clé dans la crise, incarné à la perfection par Ulrich Tukur, donne lieu à un personnage de tragi-comédie, tragique au vu des enjeux dramatiques pour le peuple grec, et surtout démocratique : quid de la valeur et de la légitimité du vote d’un peuple face à une mascarade européenne soucieuse uniquement de ses intérêts personnels et prête à sacrifier une nation entière pour ne pas laisser ses banques couler et éviter un effet domino.
Une œuvre pro-Frexit, pro-Grexit, et pro-Brexit?
Le brûlot de Costa-Gavras pourrait être considéré comme un pamphlet anti-Europe tant on ressort avec des sentiments durs à l’égard des politiciens de Bruxelles, mais aussi ceux représentant nos propres institutions nationales. Le mépris que l’on ressent surgit de l’effet miroir vis-à-vis de la volonté des peuples, bafoués. La lecture du dégoût profond des bureaucrates de l’Eurogroupe face à l’arrivée au pouvoir de la coalition de la Gauche radicale, laisse des traces. Il nous rappelle la pensée unique que l’on nous rabâchait sur nos propres organes d’information télévisuels, de ceux qui forgent l’opinion publique sans le contexte apporté ici par Gavras et Varoufakis dans son livre. Adults in the room, en plein débats sur le Brexit, redonne à la crise grecque une actualité formidable dans l’enseignement que l’on peut en tirer, car Costa-Gavras peut se targuer de ne pas avoir réalisé une œuvre anti-Europe. Son film ne décrit-il pas le combat coûte que coûte d’un peuple pour rester au sein de la monnaie unique? Au moins plaide-t-il pour une Europe à visage plus humain, moins figée dans sa structure, plus proche du peuple. Et de ce fait, Adults in the room peut aussi s’interpréter comme un magnifique manifeste pro-européen, pour une Europe de l’empathie, du social et du citoyen.
Du talent de toutes parts
Réussite totale, Adults in the room est bien le meilleur film de Costa-Gavras sur plusieurs décennies. Outre l’intelligence de sa démarche, il faut citer un sens du montage, de la fluidité, et de la réalisation qui ne laissera personne insensible. L’œuvre est costaude, magnifiée par la musique d’Alexandre Desplat, baignant dans une photographie avenante signée par Yorgos Arvanitis, et surtout, galvanisée par une interprétation sans faille.
Bref, tout le cinéma politique que l’on aime, à la folie, passionnément.
Critique : Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 6 nombre 2019

Affiche : Monsieur X – Photo : Jessica Forde – Copyrights : KG Productions – Wild Bunch – Elle Driver – France 2 Cinéma – Odéon SA