Avec Ad Astra, James Gray signe sans aucun doute son chef-d’œuvre, à la fois puissant sur le plan psychologique et profond sur le plan métaphysique. A réserver toutefois aux amateurs de films d’auteur exigeants.
Synopsis : L’astronaute Roy McBride s’aventure jusqu’aux confins du système solaire à la recherche de son père disparu et pour résoudre un mystère qui menace la survie de notre planète. Lors de son voyage, il sera confronté à des révélations mettant en cause la nature même de l’existence humaine, et notre place dans l’univers.
James Gray poursuit sa filmographie de manière cohérente
Critique : Auteur de polars mémorables qui étaient autant d’analyses du conflit père / fils (Little Odessa, The Yards, La nuit nous appartient), le réalisateur américain James Gray se lance avec Ad Astra dans un projet d’une toute autre envergure. Il dispose notamment d’un budget de plus de 80 millions de dollars et se frotte à un genre très codifié, la science-fiction. Toutefois, il n’aborde absolument pas le genre sous un angle commercial et préfère continuer à explorer des thématiques qui lui sont personnelles.
Motivés par les succès inattendus de Gravity (Cuaron, 2013), Interstellar (Nolan, 2014) et Premier contact (Villeneuve, 2016), trois œuvres de SF aux sujets difficiles et aux approches auteurisantes, les producteurs ont donc confié un gros budget à James Gray pour qu’il livre sa version spatiale d’Au cœur des ténèbres de Conrad. Effectivement, tous les admirateurs d’Apocalypse Now de Coppola verront rapidement se dessiner un rapprochement avec Ad Astra. Dans les deux cas, un personnage est envoyé en mission dans une zone hostile pour éliminer un homme devenu fou, le voyage devenant peu à peu une exploration de la psyché torturée de celui qui accomplit le voyage.
Dans Ad Astra, on retrouve ainsi l’usage d’une voix off qui nous délivre les réflexions de cet astronaute envoyé aux confins de l’espace par une compagnie privée afin de retrouver son père, pourtant porté disparu depuis une quinzaine d’années. Dès les premières séquences, le spectateur est placé dans la tête de Brad Pitt et il n’en sortira plus pendant deux heures.
Une atmosphère cotonneuse volontairement tournée vers l’introspection
L’atmosphère se veut cotonneuse, comme dans une bulle où tous les sons seraient assourdis, ce qui fait du film une pure expérience immersive. Si un léger suspense est esquissé (Qu’est-il arrivé au père ? Que s’est-il passé durant cette mission spatiale qui avait pour but de rencontrer une intelligence extra-terrestre ?), le spectateur devra assez rapidement se faire une raison : James Gray signe une fois de plus un film d’auteur exigeant où l’action n’a pas vraiment droit de cité.
Que ceux qui veulent donc voir un space opera trépidant passent leur chemin puisque le film se veut avant tout une réflexion intimiste et métaphysique d’une belle pertinence. Construit sur un mode déceptif, le film débute donc comme une quête existentielle, mais la philosophie assez nihiliste déployée par l’auteur entraîne une série de déceptions pour le spectateur. Contournant toutes les attentes légitimes du grand public, James Gray nous emmène dans des zones inexplorées par le cinéma, soit une sorte de néant narratif qui est la traduction immédiate de notre condition humaine.
Une quête qui ne peut déboucher que sur le vide…
Alors que le personnage de Brad Pitt se rapproche peu à peu de son paternel, ce dernier ne cesse de se dérober à lui. Symboliquement, il s’agit bien entendu d’une quête métaphysique d’un homme à la recherche de son Géniteur éternel, à savoir Dieu. De manière audacieuse – surtout au cœur d’un monde à nouveau obnubilé par la religion – James Gray ose tourner une œuvre profondément athéiste. Il signe ainsi un film profondément dépressif où l’homme Brad Pitt constate sa solitude, symbole d’une Humanité se retrouvant seule face au vide absolu de l’Univers.
Bouleversant par petites touches impressionnistes, Ad Astra est donc une œuvre courageuse qui se niche parmi les grandes réussites d’un genre décidément toujours aussi étonnant.
Quelques invraisemblances sont tout de même à déplorer
On peut toutefois regretter quelques petites scories au sein d’un ensemble très cohérent. Certaines péripéties semblent assez invraisemblables et le cinéaste succombe à quelques erreurs habituelles comme celle des sons diffusés dans l’espace. Toutefois, il s’agit de quelques concessions compréhensibles et excusables au vu du budget dépensé pour mettre sur pied une œuvre aussi difficile d’accès et peu vendeuse.
En l’état, il s’agit du plus beau film de son auteur qui entre définitivement dans la cour des grands en livrant son œuvre la plus mature à ce jour.