Tourné à la façon d’un thriller trépidant, A plein temps est un beau film social qui s’attache à décrire le quotidien infernal d’une mère célibataire. A la fois stressant, poignant et surtout pertinent.
Synopsis : Julie se démène seule pour élever ses deux enfants à la campagne et garder son travail dans un palace parisien. Quand elle obtient enfin un entretien pour un poste correspondant à ses aspirations, une grève générale éclate, paralysant les transports. C’est tout le fragile équilibre de Julie qui vacille. Elle va alors se lancer dans une course effrénée, au risque de sombrer.
A plein temps est un modèle de cinéma social intelligent
Critique : Après avoir tourné la comédie dramatique Crash Test Aglaé en 2017, le réalisateur d’origine québécoise Eric Gravel a décidé de suivre le quotidien chahuté d’une mère de famille monoparentale dans son second effort intitulé très justement A plein temps (2021). Le scénariste a notamment rédigé le script durant la crise des Gilets Jaunes, ce qui a validé son envie de parler de ces gens que l’on nomme souvent dans les médias les invisibles. Pour autant, malgré un point de vue social affirmé, Eric Gravel est parvenu à trouver un parfait équilibre dans son film entre analyse fine d’une situation sociale critique et portrait d’une femme battante au cœur d’une tempête personnelle et professionnelle.
La grande force d’A plein temps vient justement de son attention constante aux petits gestes du quotidien sans jamais tomber dans le piège du mélodrame social démonstratif ou théorique. Dès le générique, le spectateur est invité à regarder dormir Julie dont on entend seulement le souffle. Cela sera le seul moment apaisé d’une œuvre qui fait le pari de transformer le quotidien de cette mère de deux enfants en un trépidant thriller. Dès le réveil, la journée s’annonce tel un tourbillon ininterrompu où Julie – magnifique Laure Calamy – aurait mille raisons de flancher. Pourtant, malgré les terribles grèves dans les transports, cette femme déterminée va parvenir à gérer à la fois la garde compliquée de ses enfants, mais aussi les tensions au travail, tout en cherchant un autre emploi mieux rémunéré.
A plein temps est un tourbillon de sensations grâce à sa musique et son montage
Avec une tension de chaque instant, Eric Gravel nous raconte ici le quotidien de millions de Françaises et de Français qui vivent éloignés des grands centres urbains, mais qui y travaillent pourtant. Il s’attache à suivre cette femme de chambre employée dans un palace, imposant notamment à l’ensemble de son casting une parfaite maîtrise des gestes de ces mains de l’ombre. Ainsi, le cinéaste dresse le tableau d’une société française en crise. Le parallèle entre la situation de cette femme, brinquebalée par la vie, et celle de la société en son entier est évident. Obligé de lutter au quotidien pour assurer l’avenir, chaque être humain se doit d’être performant jusqu’au point éventuel de rupture. A plusieurs reprises, le cinéaste laisse supposer une issue tragique à cette histoire qui ne peut laisser indifférent.
A plein temps ne serait pas aussi réussi sans l’apport majeur de trois personnes. Tout d’abord, Laure Calamy livre une prestation exemplaire faite d’émotions contrastées et toujours nuancées. Certes, son personnage est déterminé, mais elle n’est pas toujours exemplaire non plus dans ses entêtements qui s’avèrent parfois contre productifs. Outre la comédienne, il faut ensuite saluer le travail remarquable d’Irène Drésel qui délivre une musique électro enrichissant encore plus les images déjà trépidantes du réalisateur. Sa musique rythme un peu plus un film déjà passablement nerveux. Enfin, signalons le montage particulièrement affuté de Mathilde Van de Moortel qui a su imprimer au film une énergie que l’on trouve rarement au sein de la production française traditionnelle.
Un film justement récompensé par les critiques et le public
Toute l’équipe a participé à la pleine réussite de cette œuvre qui délivre un discours social intéressant, sans oublier de faire du cinéma, et même du très bon. On est loin ici de la tendance actuelle à nous débiter du téléfilm moralisateur à longueur de pellicule. A plein temps est un vrai beau film sur un personnage à l’humanité bouleversante jusque dans ses failles et non un pensum certain de sa pertinence. Cela justifie amplement les nombreuses récompenses glanées par ce drame social au fil des années. On se souvient des prix du meilleur réalisateur et de la meilleure actrice à la Mostra de Venise en 2021, et plus récemment des deux César pour la musique et le montage, très largement mérités.
En salles, A plein temps n’a pas démérité à une période où le cinéma était en pleine crise post-Covid. Sorti le 16 mars 2022, le métrage a généré 70 000 entrées en 5 jours dans 199 salles. Par la suite, le Printemps du cinéma a permis au film de glaner davantage d’entrées et de faire de la résistance en se maintenant bien durant plusieurs semaines. Le métrage a fini par attirer 211 394 mères de famille sur la France (dont 74 460 en région parisienne). Un score finalement bon qui prouve une fois de plus le pouvoir d’attraction de la comédienne Laure Calamy sur des thématiques sociales fortes.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 16 mars 2022
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© 2021 Novoprod, France 2 Cinéma / Affiche : Benjamin Seznec pour Troïka. Tous droits réservés.
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Eric Gravel, Laure Calamy, Anne Suarez, Geneviève Mnich
Mots clés
Les mères au cinéma, L’entreprise au cinéma, Paris au cinéma