A Man s’empare de thématiques typiquement japonaises dans un drame intimiste si brillamment écrit qu’il parvient à toucher à l’universel, bouleversant le spectateur par petites touches impressionnistes. Une bien belle découverte.
Synopsis : Rie découvre que son mari disparu n’est pas celui qu’il prétendait être. Elle engage un avocat pour connaître la véritable identité de celui qu’elle aimait.
Le phénomène des Johatsu au cinéma
Critique : En 2018, le roman Aru otoko (A Man, donc) de Keiichirō Hirano obtient le prix Yomiuri, équivalent japonais du prix Goncourt français, et fait sensation dans le monde entier, sauf en France où il n’est malheureusement pas traduit. Le bouquin se penche notamment sur le phénomène typiquement japonais des Johatsu (que l’on pourrait traduire par « évaporés »).
Ce sont des milliers de personnes qui, chaque année, disparaissent volontairement au Japon, abandonnant derrière eux famille, amis et job pour changer simplement de vie. En cause, la pression sociale beaucoup trop forte qui pèse sur les épaules de ces hommes et femmes aux responsabilités innombrables et aux devoirs trop lourds à porter. Le phénomène n’est pas récent puisqu’il est déjà évoqué par les sociologues dès les années 60, mais il n’a jamais cessé, s’installant durablement dans le paysage social du Japon.
Des thèmes sociaux qui dérangent au Pays du Soleil Levant
En adaptant le livre au cinéma, le réalisateur Kei Ishikawa – dont nous n’avons pu voir en France que son sketch dans l’anthologie Anticipation Japon en 2018 – entend évoquer des problématiques typiquement locales comme cette pression sociale pesant sur les individus, mais aussi la hausse inquiétante du racisme anti coréen qui mine les fondements de cette démocratie de plus en plus affaiblie et abîmée.
A Man s’empare donc de toutes ces thématiques sociétales au cœur d’une intrigue mystérieuse qui joue à fond sur le trouble identitaire. Si la première demi-heure présente surtout les principaux personnages dans un style intimiste n’excluant pas les sentiments, l’histoire bascule lorsque le protagoniste incarné par le mystérieux Masataka Kubota meurt en laissant une veuve éplorée. Celle-ci va découvrir que celui qu’elle aimait et avec qui elle a eu un enfant n’est pas celui qu’il disait être. Dès lors, elle charge un avocat (excellent Satoshi Tsumabuki) de découvrir la vérité. Ainsi s’instaure un passage de relais narratif puisque l’épouse fidèle (incarnée avec pudeur par Sakura Andô) s’efface progressivement pour laisser la place à l’avocat-enquêteur.
Une écriture ciselée et divinement maîtrisée
De manière très habile, le cinéaste nous convie à suivre une passionnante traque de la vérité qui révèle les failles béantes du système japonais actuel. Mais là où l’écriture se révèle d’une finesse absolue, c’est que cette histoire fascinante et même bouleversante finit par se répercuter sur la vie de l’homme de loi. Apparemment bien établi dans la société, celui-ci vacille face aux questionnements personnels que suscite en lui cette affaire troublante. Et ceci aura des répercutions non prévisibles jusque dans la dernière scène, un modèle d’intelligence qui laisse pantois dans son dénouement.
Ayant étudié le cinéma à l’école polonaise de Lodz, le cinéaste Kei Ishikawa s’inspire sans aucun doute de maîtres du cinéma d’Europe de l’Est comme Roman Polanski (pour son côté obsessionnel et la contamination d’un personnage par un autre) et Krzysztof Kieslowski (pour sa capacité à entremêler différents niveaux de narration). Le résultat est une œuvre passionnante de bout en bout, maîtrisée tant sur le plan formel que narratif.
Un ton pudique qui touche profondément
Loin de n’être qu’une œuvre brillante sur le plan intellectuel, A Man propose aussi des moments de pure émotion comme seuls savent les mitonner les maîtres japonais. Que ce soit lors de la description du trauma initial du personnage ayant disparu ou lorsque le cinéaste s’intéresse aux sentiments contrariés de ceux qui ont été abandonnés, le ton est toujours celui de la retenue, confirmant le goût des auteurs nippons pour la suggestion et non l’explicitation.
Bouleversant à plus d’un titre, A Man est donc une fort belle découverte qui a été diffusée en avant-première mondiale à la Mostra de Venise en 2022. Après sa sortie japonaise, le drame a obtenu treize nominations aux Japan Academy Prize 2023, réussissant à glaner huit récompenses, dont celles de meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario et meilleur acteur pour Satoshi Tsumabuki.
A Man, un succès de plus pour le distributeur Art House
Ces belles performances expliquent la sortie du long métrage en France sous l’égide du distributeur Art House Films à partir du 31 janvier 2024. Proposé dans 86 salles dont 18 parisiennes, A Man parvient à nouveau à attirer le public d’art et essai avec 38 635 entrées sur toute la France (dont 21 797 dans la capitale). Mieux, le bouche à oreille fonctionne tellement bien que le métrage bénéficie d’écrans supplémentaires en deuxième semaine, réussissant même à fédérer davantage que durant sa semaine inaugurale.
Ainsi, ils furent 39 014 retardataires à faire le déplacement en salles, soit une hausse de 1% des entrées pour un total de 77 649 spectateurs. En troisième semaine, la baisse est infime et le métrage dépasse la barre symbolique des 100 000 entrées. Visiblement satisfait, le public en redemande et continue à venir voir le film durant tout le mois de février et de mars, permettant à cette nouvelle sortie d’Art House d’effectuer un beau triplement de ses entrées inaugurales avec 150 456 clients en fin de parcours.
Ce nouveau succès, amplement mérité par ailleurs, a permis de sortir le long métrage aussi bien en DVD qu’en blu-ray dès le mois de juin 2024. On ne peut que vous le recommander chaudement.
Critique de Virgile Dumez
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Kei Ishikawa, Sakura Andô, Yôko Maki, Satoshi Tsumabuki, Masataka Kubota
Mots clés
Cinéma japonais, Les disparitions au cinéma, Les relations père-fils au cinéma, Les avocats au cinéma