La première version allemande d’A l’Ouest rien de nouveau est un film de guerre puissant et radical qui ne peut laisser indifférent. Son succès aux Oscars est largement mérité.
Synopsis : Paul Baumer et ses amis Albert et Muller s’enrôlent volontairement dans l’armée allemande. Plein d’enthousiasme et de ferveur patriotique, les garçons partent à la guerre. Mais une fois sur le front, ils découvrent l’horreur destructrice de la Première Guerre mondiale…
La première adaptation allemande d’un chef d’œuvre de leur littérature
Critique : En près d’un siècle, le splendide roman A l’Ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque (publié en 1929) n’a eu le droit qu’à trois adaptations différentes au cinéma. Et parmi elles, cette nouvelle version signée Edward Berger est la toute première en langue allemande, alors même que le roman est d’origine germanique. Certes, il était difficile d’égaler la puissance du chef d’œuvre de Lewis Milestone datant de 1930 – qui a justement obtenu l’Oscar du meilleur film et de la meilleure réalisation. Cependant, il n’était pas si compliqué de surpasser celle de Delbert Mann qui a été exploitée en salles en France, mais qui n’était initialement qu’un téléfilm.
Cette nouvelle version d’A l’ouest rien de nouveau (2022) opte pour un choix radical qui est de laisser hors champ la formation des jeunes recrues et leurs histoires personnelles pour se concentrer uniquement sur les séquences se déroulant sur le front. Cela retire assurément de la psychologie aux différents protagonistes dont la vie est laissée en dehors du champ de bataille. Toutefois, cela n’empêche nullement le réalisateur de retranscrire avec puissance les scènes majeures du livre. S’il modifie un certain nombre de choses – et notamment la fin qui nous prend donc par surprise par rapport au livre – l’esprit du bouquin est toujours conservé avec soin.
En immersion totale dans l’horreur de la guerre
En fait, Edward Berger a souhaité ici réaliser une œuvre dure, froide et implacable qui plonge le spectateur au cœur de l’horreur de la guerre. Cela est souligné par l’excellente musique de Volker Bertelmann qui insiste sur le caractère martial du film, tout en livrant un score entêtant dans la lignée des compositions d’un Hans Zimmer pour Christopher Nolan. On songe d’ailleurs beaucoup au réalisateur de Dunkerque (2017) durant la projection puisque la photographie de James Friend s’en rapproche beaucoup. Parmi les autres références évidentes du réalisateur, on peut bien sûr citer l’ombre tutélaire de Stanley Kubrick et de ses Sentiers de la gloire (1957).
Ainsi, le cinéaste reprend le style du génial visionnaire en faisant évoluer sa caméra dans les tranchées de manière virtuose, mais aussi dans la localisation de l’état-major allemand au cœur d’un château. Edward Berger reprend même la distinction un peu simpliste des Sentiers de la gloire entre des trouffions qui ne sont que de la chair à canon pour des élites qui sont décrites comme pleutres, bouffies d’orgueil et insensibles au sort de leurs hommes. Cela recoupe indéniablement une réalité, mais la binarité du procédé dérange sans doute un peu plus de nos jours où cela apparaît comme une facilité d’écriture.
Une belle maîtrise technique au service de la grande Histoire
Pour autant, Edward Berger livre avec A l’Ouest rien de nouveau une nouvelle adaptation valeureuse du célèbre bouquin pacifiste. Loin de n’être qu’un téléfilm, le brûlot fait preuve d’une réelle maîtrise technique, tandis qu’un réalisme impressionnant a été déployé pour reconstituer au mieux les combats. On sent notamment la présence d’historiens sur le tournage afin que l’ensemble sonne le plus juste possible.
On peut notamment s’en apercevoir lorsque les premiers chars s’arrêtent de rouler pour pouvoir tirer – contrainte technique de l’époque oblige – contrairement à l’erreur généralement commise par des cinéastes désireux d’être plus efficaces. Les férus d’histoire peuvent donc aisément se laisser séduire par cette évocation très juste des combats de 1914-1918, tandis que les pédagogues peuvent inviter leurs élèves à visionner le film, en prévenant toutefois de l’extrême violence de certains passages qui ne laissent pas indemnes.
A l’Ouest rien de nouveau multiplie les séquences chocs
On n’est pas prêt d’oublier le massacre à coups de lance-flammes, le combat contre les premiers chars et surtout l’incroyable scène où le jeune héros se retrouve face à un Français dans un trou d’obus (ce passage marquant du livre est ici retranscrit dans toute son horreur). Il faut dire qu’A l’Ouest rien de nouveau bénéficie de l’interprétation impressionnante du jeune acteur autrichien Felix Kammerer dont ce fut la première expérience devant une caméra. Le comédien fait preuve d’un charisme évident et il capte l’attention à chaque instant par l’intensité de son regard. Il est entouré par des comédiens de bonne tenue, parmi lesquels on retrouve avec plaisir le très bon Daniel Brühl dans un rôle de diplomate cherchant à tout prix à épargner des vies, lui qui a déjà perdu son fils sur le front.
Film puissant qui pâtit sans doute d’une durée un peu excessive de près de 2h30min, A l’Ouest rien de nouveau est assurément un témoignage historique qui compte parmi les bonnes représentations de la Première Guerre mondiale. Il laisse un goût amer dans la bouche et donne ainsi une vision très sombre d’une humanité vouée à s’autodétruire par l’entremise d’un système de commandement absurde.
Une œuvre cinématographique… à visionner sur Netflix
Acheté par Netflix qui le propose sur sa plateforme dans le monde entier, le long-métrage aurait eu toute sa place sur les grands écrans. Il est d’ailleurs sorti en salle aux USA, en Australie et en Espagne.
L’Académie des Oscars lui a d’ailleurs décerné quatre récompenses dont celles très méritées de la meilleure musique, meilleure photographie et du meilleur film étranger. Mieux, les BAFTA, aux Royaume-Uni l’ont consacré avec 7 prix, dont celui du Meilleur film.
Il est donc bien dommage de devoir constater l’excellence de cette création sur un écran beaucoup plus étriqué. C’est bien entendu ici toute la contradiction du nouveau modèle émergent que de vouloir proposer du grand spectacle à leurs abonnés qui le verront, pour certains, sur leurs écrans de smartphone.
On notera l’apparition d’éditions vidéo en 4K Ultra HD – Blu-ray, au format Mediabook, dans plusieurs marchés, dont les Etats-Unis et l’Allemagne. Les copies disposent d’une piste française et de sous-titres dans notre langue.
Critique de Virgile Dumez
Voir le film sur Netflix
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Edward Berger, Albrecht Schuch, Daniel Brühl, André Marcon, Felix Kammerer, Aaron Hilmer
Mots clés
La Première Guerre mondiale au cinéma, Les grandes adaptations littéraires, Oscars 2023