Bide incontestable en France, La passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung s’est retrouvé au centre d’une polémique politique qui n’était peut-être pas à la hauteur. C’est le message que l’international et notamment les USA nous envoient à travers un succès que l’on ne voyait plus venir.
Victime indirecte d’une polémique autour de sa présélection aux Oscars pour représenter les couleurs de la France, La passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung s’est retrouvé involontairement dans une lutte quasi politique. Et si Macron s’était insinué dans le choix de ce film contre Justine Triet, qui s’était érigée contre sa politique culturelle, en mai, lors de la remise de la Palme d’or, qui était aux yeux de tous comme une évidence ? Dans une France aussi bipolaire que bipolarisée, il n’en fallait pas plus pour que les influenceurs cinéma d’extrême-droite, obsédés par l’argent public et la surreprésentation des thématiques progressistes, et les parangons de Gauche pro-femme et anti-Macron, se déchirent sur les réseaux sociaux.
Les Etats-Unis nous remettent enfin à notre place et nous demandent de nous calmer.
Le goût des autres et The Taste of Things
Depuis, l’annonce officielle du comité de sélection du CNC d’écarter Anatomie d’une chute, ce dernier a remporté tous les prix (pas plus tard que ce week-end, il a été gratifié du BAFTA du Meilleur scénario) et s’est retrouvé même nommé là où on ne l’attendait pas (Catégorie du Meilleur film aux Oscars). A la date du 19 février, la Palme d’or du festival de Cannes 2023 a obtenu 186 nominations et 78 Prix, et ce n’est pas fini.
De son côté, La passion de Dodin Bouffant n’a même pas réussi à décrocher une place parmi les happy-fews de la catégorie du Meilleur film en langue étrangère.
Photo : Carole Bethuel – © Curiosa Films, Gaumont, France 2 Cinémas. All Rights Reserved.
Toutefois à la surprise générale, le vent tourne pour le flop de Gaumont. En ce mois de février, le nouvel hymne culinaire français réalise un succès incontestable aux USA sous le titre de The Taste of Things.
La semaine du 9 février, il ouvrait à 130 000$ dans 3 cinémas. Sa moyenne de 43 000$ était exceptionnelle. Aussi, pour bénéficier d’une période pré-Oscars faste (les spectateurs ont-ils remarqués qu’il n’était pas nommé aux Oscars tant il en a la texture et le goût?), le voici propulsé en semaine 2 dans 505 cinémas. Une grosse combinaison qui lui permet d’empocher 600 658$ pour son 2e week-end, celui-ci étant férié, le distributeur IFC Films attend 701 000$ sur 4 jours. Selon Deadline et IFC, le bouche-à-oreille est en marche, avec une augmentation des recettes de 69% entre vendredi 16 et samedi 17. Certes, la moyenne par écran n’en est plus remarquable (1 189$) mais quel score : 1 059 691$ en 10 jours, soit l’assurance de faire plus aux USA qu’en France où ses recettes l’ont plombé (1 700 000$). Avec 230 740 spectateurs en France, la production Gaumont avait été l’un des échecs cinématographiques de l’année 2023 et plus rien ne semblait pouvoir le sortir du four.
La passion de Dodin Bouffant, l’exception culturelle française
Des signes ici-et-là, pouvaient donner l’espoir d’un sauvetage du tandem Binoche-Magimel par l’international. Le beau succès aux Pays-Bas (1 075 505$), c’est-à-dire plus ou moins le même score qu’Anatomie d’une chute (1 231 000$) était l’illustration même du potentiel énorme que pouvait représenter cet avatar de la bonne gastronomie française. En Allemagne, le démarrage dans le top 10 avec à peine une centaine d’écrans a été une autre bonne nouvelle, en ce mois de février, avec 334 843$ en une semaine. Les chiffres du week-end 2 confirmeront-ils son excellente moyenne locale? Réponse dans quelques heures.
Avec Juliette Binoche (Chocolat, avec Johnny Depp avait décroché 71M$ aux USA en 2000) en ambassadrice du goût des choses à la française, La passion de Dodin Bouffant est d’ores et déjà la promesse de recettes mondiales qui relègueront les chiffres hexagonaux à ceux d’une exception française.
Copyrights photo : Stéphanie Branchu. Tous droits réservés.
Déclaration des amours : c’est la Saint-Valentin
En ce 19 février, le budget initial de 6 400 000$ n’a toujours pas été remboursé, puisqu’actuellement le mets délicat d’Anh Hung Tran n’a généré que 4 900 000$ toutes recettes salles comprises, mais pour Gaumont, responsable des ventes et producteur du film avec Curiosa Films (La tresse), les perspectives autour de cette belle production, s’éclaircissent. Dodin Bouffant commence à sortir un peu partout à une date clé posée peu avant la cérémonie des Oscars, dans l’espoir de profiter du festin de la grand-messe américaine. Il vient notamment d’apparaître dans les salles britanniques dans 89 cinémas via la bannière de Picturehouse, distributeur local d’Anatomie d’une chute, pour la Saint-Valentin. Il profite d’une excellente presse.
Si les critiques françaises ont été partagées avec d’excellents papiers affrontant le cynisme d’une presse plus hostile, les papiers anglo-saxons ont été excellents. Du Royaume-Uni aux USA, la moyenne de 85/100 sur Metacritic démontre encore une fois que quand la politique se mêle indirectement au cinéma, le message autour d’un film n’est pas toujours lisible. La passion de Dodin Bouffant, pourtant bien parti, fort d’un Prix de la Mise en scène à Cannes, en mai 2023, n’a reçu que 3 nominations aux César, des nominations techniques et non gastronomiques.
Le monde d’avant jugé coupable ?
Lui a-t-on fait payer son flop français ? D’avoir barré la route à Anatomie d’une chute dans une catégorie des Oscars qui semblait lui être offerte ? Ou bien d’être le représentant d’un cinéma français du monde d’avant – La passion de Dodin Bouffant est l’adaptation d’un roman suisse vieux d’un siècle, avec une équipe très masculine (le réalisateur, producteur principal, chef op, et monteur sont tous des hommes).
Dans tous les cas, le grand Tran Anh Hung, qui nous a apaisés en 1993 avec le sublime L’odeur de la Papaye verte, et tourmenté en 1995 avec le violent Cyclo, peut crier justice, près de dix mois après son prix cannois. Au-delà de toute polémique, il faut saluer le grand artiste qu’il est et l’excellence de sa réalisation. Il n’a jamais souhaité se retrouver dans cette polémique à hashtags, dans le tourbillon de l’instant, lui qui aime composer sur le temps long. Le box-office international a remis les pendules à l’heure et permis à Gaumont, déjà ragaillardi par le succès mondial de la troisième saison de Lupin, sur Netflix, de retrouver le goût des choses.
Photo : Carole Bethuel – © Curiosa Films, Gaumont, France 2 Cinémas. All Rights Reserved.