Note des spectateurs :

Cinéaste de la liberté de ton et d’écriture, Jacques Rozier est mort à l’âge de 96 ans, le 2 juin 2023, en marge des grands-messes du cinéma. Il laisse aux plus érudits des cinéphiles les souvenirs de Maine Océan, son plus grand succès, en 1986, et Adieu Philippine, un premier long en 1963.

Très apprécié dans le cinéma français nostalgique de la Nouvelle Vague, Jacques Rozier est probablement le moins connu des grands auteurs du patrimoine français. Révélé à Cannes, avec Adieu Philippine, Rozier voit son premier long réservé à des élites cinéphiles qui se fichent des stars et des histoires, pour ne garder que le ton et l’âme de l’œuvre. En septembre 1963, Adieu Philippine trouve 5 243 entrées dans deux cinémas à Paris, le Monte-Carlo et la Pagode. Le charme fait son effet ; les premiers conquis le seront à jamais, dans un cinéma français qui se renouvelle au sommet d’une nouvelle vague de jeunes talents omniprésents, de Godard à Resnais. Toute une renaissance dont il ne souhaitera jamais être le chantre consensuel.

Mort de Jacques Rozier, un illustre inconnu au sein de la cinéphilie française

Réalisateur de la marge, il dirige ses amis, comme Bernard Menez dans Du côté d’Orouet, son deuxième long à sortir, en 1973, grâce à Claude Berri qui distribue, via AMLF. Mais 6 220 entrées sur toute la France, c’est une misère face aux 64 000 entrées d’Adieu Philippine, dix ans plus tôt.

Coffret Jacques Rozier (Potemkine)

© Potemkine. Tous droits réservés.

L’auteur, poussé vers les vedettes par Berri qui est enthousiaste par la légèreté de son ton, dirige Pierre Richard, Jacques Villeret, Maurice Risch et Jean-François Balmer dans Les naufragés de l’île de la tortue, que le distributeur propose en 1976 dans 7 salles parisiennes. Il trouve alors 16 291 spectateurs en première semaine et ne restera que 5 semaines à l’affiche pour 33 000 curieux dans la capitale, et 87 047 entrées sur toute la France. Un score historiquement bas pour Pierre Richard qui, dans le cinéma mainstream, sortait des 3 700 000 entrées de La moutarde me monte au nez.

Un auteur de la marge exhumé dans les années 80

Pour retrouver le grand écran, Rozier devra attendre 10 ans, une fois de plus et le phénomène Maine Océan qui parait dans 6 salles parisiennes le 16 avril 1986, via le distributeur AAA Classic. Le film, produit par Paolo Branco, avec les bienaimés Luis Rego et Bernard Menez, embarque à son bord 12 691 passagers à Paris en première semaine. La presse est enthousiaste et le bouche-à-oreille enfle. Jacques Rozier, l’oublié de la télévision, l’inconnu des vidéocassettes, va se forger un public : plus de 50 000 Parisiens, 120 000 Français… sans promotion. Un prix Jean Vigo dans la poche, Jacques Rozier s’absente encore une fois du grand écran qu’il ne retrouvera jamais. Son ultime long métrage, Fifi Martingale (2001) est privé de distributeur et donc de spectateurs.

Heureusement, l’avènement du DVD et de la VOD permettront à son oeuvre, notamment grâce à l’éditeur Potemkine, d’élargir son public quand Action Cinémas ressort tout Rozier, entre 2004 et 2009.

Dans les années 2020, la Cinémathèque française le consacre avec une belle rétrospective. Jacques Rozier nous a donc quittés une fois de plus, mais cette fois-ci, son cinéma enfin établi au panthéon de la cinéphilie.

Frédéric Mignard

Retrouvez la biographie du cinéaste Jacques Rozier

 

Affiche de "Maine Océan" de Jacques Rozier

Affiche de “Maine Océan” de Jacques Rozier par Yves Prince; Tous droits réservés.

Mort de Jacques Rozier

(le 2 juin 2023)