Yesterday voit le talent de Danny Boyle et sa passion pour la musique gâchés par les facilités de formules et d’écriture du cinéma de Richard Curtis, scénariste et producteur de Quatre mariages et un enterrement et Love actually. Niveau audace et fraîcheur, cette uchronie dépeignant un monde où les Beatles n’auraient pas existé, ressemble surtout au second, à savoir à une comédie romantique vieillotte, rance et sans saveur.
Synopsis : Hier tout le monde connaissait les Beatles, mais aujourd’hui seul Jack se souvient de leurs chansons. Il est sur le point de devenir extrêmement célèbre.
Jack Malik est un auteur-compositeur interprète en galère, dont les rêves sont en train de sombrer dans la mer qui borde le petit village où il habite en Angleterre, en dépit des encouragements d’Ellie, sa meilleure amie d’enfance qui n’a jamais cessé de croire en lui. Après un accident avec un bus pendant une étrange panne d’électricité, Jack se réveille dans un monde où il découvre que les Beatles n’ont jamais existé… ce qui va le mettre face à un sérieux cas de conscience.
Yesterday, romcom ratée et opportuniste
Critique : Yesterday, oeuvre de postulat et de gimmick original, est ratée et opportuniste. L’on n’en vient pas à remettre en cause l’implication de Danny Boyle et la passion qu’exerce la musique sur son oeuvre. Depuis ses deux premiers longs, Petits meurtres entre amis et Trainspotting, encensés par les médias britanniques qui y voyaient le pendant cinématographique du courant musical de la Britpop, le cinéaste enragé a su faire de ses bandes-originales des éléments fondamentaux de la fonction narrative de son cinéma. Aussi, il n’est pas aberrant de le voir aux manettes de Yesterday, uchronie dépeignant un monde sans les Beatles, les fondateurs même de la pop britannique, comme dans une autre uchronie, française cette fois-ci, notre comédie populaire Jean-Philippe, qui mettait en scène, en 2006, une France dans laquelle Johnny Hallyday n’aurait jamais existé et où Jean-Philippe Smet serait resté un anonyme. Point commun loufoque et étrange entre les deux œuvres, dans chacune, un brave type se réveille (c’était Luchini dans le film autour d’Hallyday) ou revient à lui, à la suite d’un choc, découvrant qu’il est le dernier à se souvenir de l’existence du groupe ou de la célébrité, avec le répertoire en tête, y compris les paroles.
Si pour Jean-Philippe, l’idée était développée de façon novatrice, dans Yesterday, elle paraît indéniablement sous influence de son prédécesseur, qui avait été un temps envisagé pour un remake américain. Les méga-stars Michael Jackson et Madonna avaient alors été envisagées. Par ailleurs les internautes ont rappelé à Boyle l’existence d’une BD de David Blot, parue en 2011, où ce monde sans les Beatles était déjà posé, avec, évidemment des variantes dans l’histoire.
Mais ce qui cloche avec Yesterday, c’est moins la ressemblance évidente avec Jean-Philippe, que le mélange des genres qui rend l’écriture balourde et indigeste. Le film anglais, feel-good movie populaire devant l’Eternel, a été écrit pour générer un phénomène ancré dans la représentation d’un pays sur plusieurs générations, autour d’un même référent culturel. C’est vendeur, fédérateur, et même un brin putassier quand c’est Richard Curtis qui commet le script.
Une oeuvre impersonnelle qui détonne dans la carrière de Danny Boyle
Exit John Hodge et Alex Garland, les deux scénaristes historiques des meilleurs Danny Boyle, le script de Yesterday est arrivé sur le bureau de Boyle comme une commande en provenance du producteur de Quatre mariages et un enterrement, Coup de foudre à Notting Hill, Bridget Jones, et le piteux Love actually, devenue référence de la romcom, aux yeux des ménagères, grâce à ses multi-rediffusions de fin d’année à la télévision. Richard Curtis qui a su être bon (les premiers film avec Hugh Grant) est aujourd’hui un maçon de l’écriture à la truelle, engagé dans la facilité de scripts balisés, sur des idées assaisonnées de junk food light, mais junk food quand même, pour spectateurs sous le charme au premier rayon de soleil à l’écran, qu’il soit cocasserie, espièglerie, ou personnages charmeurs issus de l’anonymat des classes moyennes ou populaires.
Yesterday relate donc l’histoire d’un brave type, d’origine indienne (d’où les parents, eux très bons, issus du casting de la série des années 90, Goodness Gracious Me), compositeur et interprète de titres bidons, qui se voit, le lendemain d’un violent accident, propulsé, grâce à l’aide d’Ed Sheeran (sic), sur les devants de la scène mondiale, en s’appropriant le répertoire des quatre garçons dans le vent, qui ont, dans la conscience collective, basculé dans l’oubli : ils n’ont jamais existé, ou du moins connu la gloire, et donc, forcément, leurs successeurs pop (Oasis, évidemment), non plus. Sauf que, derrière ce point départ séduisant, aux rouages toutefois graisseux, et pour nous Français, terriblement familiers, vient s’engluer une histoire romantique, entre le jeune homme et sa manager (en fait sa meilleure pote, humble professeure), dont l’amour réciproque non déclaré vient être mis à mal par la gloire fulgurante du chanteur qui doit faire un choix entre, d’un côté, les paillettes et le cynisme, et de l’autre, la simplicité d’un foyer innocent. Et comme il est, au fond de lui, conscient du vol de la propriété artistique de tout un répertoire de génie, chacun se fera une idée de la fin foncièrement mièvre.
Un feel-good movie factice et artificiel qui refuse l’audace
Aussi, le capital de sympathie initial du script, que l’on imaginait pouvoir être transcendé par la patte du génie visuel de Boyle et par son enthousiasme à mettre en scène une histoire qui implique les fondamentaux d’une pop britannique qu’il affectionne tant, est systématiquement ébranlé par des archétypes de romcom aux contours émaillés, rongés par la couardise et le refus de prendre des risques. Toujours plus lisse et consensuel, Yesterday s’inscrit dans l’artificiel, des personnages merveilleux qui n’arrivent pas à exister (contrairement à Notting Hill où le bouquiniste Hugh Grant était frappé par la magie d’une rencontre insolite avec une star de cinéma, jouée par Julia Roberts, ici la rencontre avec Ed Sheeran sert juste à rassembler, par la formule, les générations de fans et de spectateurs). Enfin, le film s’inscrit surtout dans la lourdeur des lieux communs alignés à la seconde. On citera le personnage foncièrement cynique, joué par Kate McKinnon. L’humour vachard de l’humoriste, en agent bossant pour une maison de disques toute puissante, incapable de dire la moindre chose sympa à son jeune client, puisqu’elle représente la tentation de l’argent, la célébrité qui tache, l’égoïsme… finit par lasser tant elle en fait des tonnes pour rendre l’image du système ingrat.
Ce raté de l’écriture et du surjeu n’est qu’un exemple parmi d’autres dans une comédie où Danny Boyle, humble après les échecs de Steve Jobs et de Trance, semble vouloir se racheter une conduite dans le fameux système, adoubé par le maître du factice et de l’illusion du bonheur au cinéma, Richard Curtis, qui avait bien besoin de son talent de réalisateur du visuel et du son pour essayer d’embellir son idée de script très continentale. Si l’on retrouve les thèmes récurrents de la quête de la réussite et de la success-story, qui étaient ceux de Millions ou de Slumdog Millionaire, rien ne vient vraiment légitimer le divertissement dans la filmographie du réalisateur de 28 jours plus tard où l’on préférera, et de loin, les projets audacieux et personnels, plutôt que cette mascarade, gentillette et inoffensive, qui, in fine, vient ternir le patrimoine boylien.
On en ressort donc bien plus chagriné qu’émerveillé. Et nous aussi, nous souhaiterions tout oublier… Mais au vu du succès américain et britannique du film, cela risque d’être bien difficile, car la formule, voyez-vous, bon nombre de spectateurs en raffolent encore…
Critique : Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 3 juillet 2019