Œuvre de l’étrange qui aurait pu être réalisée par Duncan Jones ou Brandon Cronenberg, Vivarium est une proposition de cinéma pertinente dans sa réflexion sur la condition humaine, dont on aime l’intrigue délicieusement absurde et absconse, mais in fine terriblement signifiante. Eisenberg et Imogen Poots habitent leur rôle avec force.
Synopsis : À la recherche de leur 1ère maison, un jeune couple effectue une visite en compagnie d’un mystérieux agent immobilier et se retrouve pris au piège dans un étrange lotissement…
Bizarre, bizarre
Critique : Production américaine, irlandaise, belge et danoise, Vivarium est une œuvre étrange dans son scénario, finement mise en scène par un réalisateur irlandais, Lorcan Finnegan, à l’aise dans un cinéma proche de l’univers décalé de Duncan Jones ou Brandon Cronenberg, pour se référer à une nouvelle génération d’auteurs inspirés par Lynch ou Cronenberg père.
Projeté en première mondiale à Cannes, Vivarium est un conte entre fantastique, surnaturel et science-fiction, qui a mis dix mois pour sortir sur les écrans français. L’objectif de ses deux distributeurs (les Bookmakers et The Jokers) étaient, dès le départ, de laisser cet OVNI lynchien muer en une bête de festival lors des grand-messes d’automne, tout autour du globe. Et Vivarium a réussi ce pari en ressortant consolidé dans sa réputation, par de nombreux prix, y compris dans notre Étrange Festival parisien qui célèbre les productions irrationnelles aimant nous faire perdre la raison.
Dans Vivarium, Imogen Poots et Jesse Eisenberg, couple crédible à l’écran, acteurs solides au demeurant, portent l’intrigue concept sur leurs épaules. Il fallait bien deux acteurs de leur étoffe pour pouvoir se perdre dans la mécanique labyrinthique d’un scénario dont l’économie de dialogues et de décors joue sur le principe d’une journée sans fin, dans une répétition abyssale des actes, des mots, sur fond de bâtisses totalement identiques, au cœur d’un lotissement factice, qui semble avoir été posé là par des forces supérieures.
Vivarium et son sens de la vie par l’absurde
Le jeune couple qui souhaite enfin emménager ensemble pour fonder éventuellement une famille, est dirigé par un curieux agent immobilier dans un lotissement qui paraît tout droit sorti d’un épisode de La Quatrième Dimension. Toutes les maisons y sont irréelles, jusqu’au ton vert reptilien de la peinture. Une fois abandonné dans ce microcosme hors du monde, le couple se rend compte que celui-ci se prolonge jusqu’à l’horizon, impliquant l’impossibilité d’en sortir.
Pis, dans ce dédale de rues et de bâtisses vides de projet immobilier supposé vendre rêve patrimonial, les deux jeunes gens se voient contraints d’élever un enfant venu d’ailleurs. Le bébé a été déposé dans un carton, avec comme seul message, la promesse, pour le couple, d’être libérés s’ils s’occupent du petit ” garçon”, avec la nourriture qu’ils recevront tous les jours, dans ce même type de carton, déposé au pied de leur nouveau domicile, sans qu’ils ne puissent jamais voir ceux qui tirent les ficelles.
Tu seras un monstre mon fils
Quelques mois plus tard, l’enfant à pris en fait… quelques années. Le temps paraît une éternité pour les parents adoptifs qui réfutent l’idée d’être le père et la mère de la créature mutante. Le jeu de pronom en anglais en est d’ailleurs révélateur. Le personnage féminin évoque le garçon en utilisant “he”, qui renvoie donc à de l’humain. Le personnage joué par Eisenberg, pas forcément chaud pour avoir un enfant au début du film, évoque l’engeance monstrueuse, que l’on croirait issue du Village des damnés, en utilisant le pronom “it”. Un mot pas si neutre convoquant du vivant qui n’a rien d’humain ou de légitime dans son affection.
Dans ce décor étrange auquel on peut ressentir soi-même un sentiment d’oppression (le même ciel bleu avec des nuages qui ont eux-mêmes toujours la même forme de nuage…), l’inquiétude est palpable, notre curiosité attisée, et notre attente pour des révélations est savamment entretenue. Cela évite à Vivarium, série B maline, de nous traîner dans la routine scénaristique et l’ennui.
Un divertissement cérébral qui se construit dans la déconstruction de toute réalité
Si l’action n’est pas du goût de ce divertissement qui tient davantage de l’énigme, la réflexion sur le couple et l’absurdité de la condition humaine, et notamment des statuts de père et de mère, trouve ici un compendium passionnant et même douloureux de ce qui fait la complexité des relations humaines et la relativité du temps sur l’individu. L’irrationnel de l’intrigue se déconstruit au fil d’interprétations personnelles qui bâtissent du sens. Et en cela réside l’action principale de ce métrage. Les enjeux sont cérébraux et métaphysiques, même si le spectacle reste entier.
Drame conjugal existentiel, thriller surnaturel cruel qui aime jouer de l’humour noir jusqu’à sa funeste conclusion, Vivarium convie le spectateur à se positionner dans le jeu de miroir de l’universel. Etre humain et se retrouver tous les jours, à domicile, face à l’autre, sans n’avoir plus rien à se dire. Et si c’était cela le vrai enfer ? La question est posée, la fin est glaçante. Vivarium est un film plus que fréquentable pour tous ceux qui aiment faire travailler leurs méninges.
Mise à jour : En raison de la fermeture des salles le 14 mars 2020, suite à l’épidémie de COVID-19, Vivarium n’est resté dans un premier temps que trois jours à l’affiche. Un choc conséquent pour ses deux distributeurs français indépendants (The Jokers et The Bookmakers) qui avaient posé la date de sortie 10 mois auparavant, peu avant la première cannoise, afin de laisser à cette série B maligne la possibilité de faire le tour des festivals jusqu’à Sundance.
Privé de carrière, Vivarium sort à contrecœur en VOD le 18 mai, grâce à une dérogation. Le film avait réalisé un très beau démarrage en trois jours (15 510 spectateurs) qui laissait augurer la promesse d’un succès.
Au jour de la réouverture des salles, le 17 juin, Vivarium revient occuper 48 sites pour 1 847 spectateurs. Lors d’une période vraiment compliquée, il reprend des couleurs avec 5 369 locataires pour la semaine du 24 juin qui est complète, sur le même circuit. Le 1er juillet, il demeure actif auprès de 4 055 néo propriétaires.
Vivarium restera 3 semaines de plus au total, pour un final à 29 731 spectateurs dans toute la France sur 7 semaines d’exploitation.
Vivarium débarque le 8 juillet 2020 en DVD et blu-ray, de façon discrète. Deux mois plus tard, il apparaît déjà sur Canal +. Un cycle de vie express pour une œuvre à la carrière aussi étrange que son contenu.
Les bonus du DVD :
Critique : Frédéric Mignard