Tentative ratée de raconter la romance subversive entre Virginia Woolf et Vita Sackville-West dans le Londres des années 20. Vita & Virginia voudrait dépoussiérer le genre du biopic mais n’arrive qu’à accumuler des clichés sur ses héroïnes et le monde qu’il prétend dépeindre.
Synopsis : Virginia Woolf et Vita Sackville-West se rencontrent en 1922. La première est une femme de lettres révolutionnaire, la deuxième une aristocrate mondaine. Quand leurs chemins se croisent, l’irrésistible Vita jette son dévolu sur la brillante et fragile Virginia. Commence une relation passionnelle qui fait fi des conventions sociales et de leurs mariages respectifs. La fascination que Virginia ressent pour Vita, l’abîme entre sa vie d’artiste et le faste de l’excentrique aristocrate donneront naissance à Orlando, une de ses œuvres maîtresses, bouleversante réflexion sur le genre et sur l’art.
Grandes ambitions, petit film
Critique : Comment résumer la complexité et la richesse d’une vie en deux heures ? C’est à cette question épineuse que tous les cinéastes s’attelant à un biopic se confrontent et à laquelle Michael Mann avait été l’un des premiers à trouver une parade dans Ali, consacré au boxeur du même nom : ne pas essayer de tout raconter, du berceau à la tombe, mais s’attacher à une période en particulier, à une poignée d’années charnières. A condition de ne pas surcharger la séquence choisie pour faire passer en contrebande tout ce qu’on sait de cette vie, au risque de revenir à la problématique initiale.
C’est cette voie qu’emprunte le second long-métrage de la réalisatrice britannique Chanya Button, Vita & Virignia, biopic, donc, qui se concentre sur l’histoire d’amour entre deux fameuses écrivaines du Londres des années 20, Vita Sackerville-West et Virginia Woolf et qui a notamment débouché sur l’écriture d’Orlando.
Beau sujet et grandes ambitions, desquels la cinéaste ne se montre malheureusement pas à la hauteur.
Une vision éculée de la condition d’écrivain
Le film pèche par sa caractérisation grossière des personnages. Vita Sackville-West ressemble davantage à une groupie écervelée qu’à une femme de lettres – celle-ci n’étant jamais prise au sérieux malgré la perspective égalitaire que pouvait laissait entendre le titre, l’artiste c’est l’autre -, tandis que Virginia Woolf (interprétée avec lourdeur par la canadienne Elizabeth Debicki qui force son accent britannique jusqu’au ridicule) y est dépeinte, exclusivement, comme une femme névrosée, constamment au bord de la folie, davantage guidée par ses humeurs que son intelligence.
En cela, il ne fait que reconduire les représentations les plus éculées sur le martyre des artistes géniaux, qui souffrent pour créer et dont le sacerdoce ne peut trouver qu’une issue tragique.
Dans une scène d’une complaisance assez détestable, Virginia Woolf est montrée se rapprochant dangereusement, dans une lumière évidemment brumeuse et cafardeuse, du bord de la Tamise, comme si elle s’apprêtait à sauter pour se tuer, anticipant par-là son suicide par la noyade quelques années plus tard. La réalisatrice cède ainsi à la tentation de relire toute la vie de l’écrivaine à partir de sa fin tragique, comme si elle n’avait été qu’une suicidée en sursis tout au long de son existence.
On ne peut en outre que regretter que ces deux amantes, écrivaines et intellectuelles, ne parlent jamais, ou si pauvrement, de littérature (à peine une mention bien scolaire de Joyce par Woolf en sortant de son bureau) ou de leur engagement politique tout à fait remarquable pour l’époque, en dehors de la scène introductive.
Le film opère plutôt un repli sur le sentimentalisme qui appauvrit et assèche considérablement les personnages sans pour autant donner de l’intensité à leur romance – comment faire vibrer une histoire d’amour avec des amants de papier ?
Chassez l’académisme du biopic, il revient au galop
La mise en scène n’est pas davantage inspirée car si la cinéaste essaie de se démarquer du tout-venant des biopics, on ne peut que constater l’échec de ses timides tentatives de secouer ce genre si académique.
Ainsi, ce n’est pas en remplaçant la musique d’époque, extra-diégétique, par une électro très contemporaine et très plate, qu’elle parvient à éviter les lourdeurs de la reconstitution, pas plus que par des prises de vue incongrues et l’incrustation d’effets spéciaux (des plantes qui poussent sur les poignées de porte…) platement métaphoriques.
Pareillement, Chanya Button veut filmer l’échange de correspondances entre les deux amantes d’une façon non conventionnelle. Soit. Pour incarner ces scènes, elle fait d’abord lire ces lettres par leurs auteurs face caméra, comme avait pu le faire Desplechin dans un Un conte de Noël. Mais contrairement à ce dernier, elle manque de confiance en son dispositif et ne peut s’empêcher de filmer également les extraits des missives reconstituées, comme on l’a vu dans 1000 autres long-métrages.
Or si on peut pardonner à un cinéaste de n’avoir rien à dire, on peut difficilement lui pardonner de n’avoir rien à montrer.
Vita & Virginia apparaît donc creux et parfaitement ennuyeux, presque autant que la bonne société anglaise contre laquelle les deux écrivaines ont guerroyé. Un comble.
Critique de Charles Chambenois
Sorties du 10 juillet 2019
Sortie DVD :
Pyramide vidéo sortira le film en DVD le 5 novembre 2019. Pas de sortie HD pour la France. En bonus, l’éditeur proposera des entretiens avec la réalisatrice Chanya Button et les comédiennes, ainsi qu’un making of.