Une histoire d’amour et de désir est une œuvre sensuelle, riche de nombreux niveaux de lecture et portée par un duo d’acteurs formidables. A découvrir.
Synopsis : Ahmed, 18 ans, Français d’origine algérienne, a grandi en banlieue parisienne. Sur les bancs de la fac, il rencontre Farah, une jeune tunisienne pleine d’énergie fraichement débarquée à Paris. Tout en découvrant un corpus de littérature arabe sensuelle et érotique dont il ne soupçonnait pas l’existence, Ahmed tombe très amoureux d’elle et bien que littéralement submergé par le désir, il va tenter d’y résister.
Quand une femme observe l’éclosion d’un jeune homme
Critique : Après avoir effectué le portrait d’une jeune fille tunisienne dans son premier long-métrage À peine j’ouvre les yeux (2015), la réalisatrice Leyla Bouzid a souhaité décrire dans son second essai l’évolution d’un jeune homme d’une extrême réserve quant aux choses du sexe. La cinéaste voulait ainsi prendre à bras le corps un sujet finalement assez peu abordé au cinéma, à savoir la première expérience sexuelle d’un garçon en proie à un désir qu’il ne maîtrise absolument pas. Afin de donner plus de poids à cet apprentissage, Leyla Bouzid a eu l’excellente idée de dépeindre un jeune homme sensible, entièrement reclus dans un monde intérieur riche, mais essentiellement fantasmatique.
Le jeune Ahmed – incarné avec beaucoup de conviction par l’excellent Sami Outalbali, dans un total contre-emploi par rapport à la série Sex Education qui l’a révélé – est ainsi né d’une famille algérienne qui a rejeté ses origines, au point de ne pas lui enseigner la langue arabe. Au cœur de ce foyer, le père de famille semble lui-même muré dans un passé douloureux qu’il refuse de partager avec ses proches. Point de discussion possible dans cette famille où le non-dit règne en maître et où les règles tacites de la banlieue s’appliquent en silence.
De l’amour du corps et des mots
Pourtant, Ahmed est justement attaché aux mots et s’ouvre aux autres à travers ses études qui l’amènent de sa banlieue jusqu’à la Sorbonne où il fait la rencontre de la jeune Farah, tunisienne qui connaît bien la culture arabe, contrairement à celui qu’elle va rapidement désirer. Grâce à l’excellence du jeu des deux protagonistes principaux – dont la charismatique Zbeida Belhajamor – le spectateur ressent immédiatement l’attirance mutuelle de ces deux êtres que tout semble opposer, si ce n’est leur passion commune pour la littérature. Elle, particulièrement directe et sensuelle, incarne un Maghreb moderne et épris de liberté, tandis que lui reste terriblement sur la réserve, comme brimé par les interdits religieux et sociétaux qui foisonnent dans les banlieues françaises. Pour que l’amour puisse poindre, il va falloir ainsi toute la ténacité de la jeune fille, mais aussi la puissance d’évocation d’un cours de littérature sur la poésie érotique arabe du XIIème siècle.
La volonté de balayer les clichés par un regard juste et sensible
Marqué par une sensualité de chaque instant, Une histoire d’amour et de désir bénéficie d’une caméra attentive, près du corps masculin qu’elle semble caresser. Ce trouble transparaît également à travers les mots de ces poètes arabes qui n’ont pas hésité à décrire de manière très précise les émois amoureux, dans une langue défiant les interdits religieux. En réalité, Leyla Bouzid permet ici de rappeler l’extrême diversité de la culture arabe qui ne peut en aucun cas être limitée aux écrits religieux, comme voudraient le faire croire les extrémistes d’aujourd’hui, dans une volonté d’éradication culturelle manifeste. La réalisatrice avec son long-métrage qui évoque le désir charnel ne fait donc que suivre les pas de ses prestigieux ancêtres qui ont défié en leur temps les interdits.
Ayant elle-même étudié à la Sorbonne, Leyla Bouzid a également parfaitement retranscrit l’ambiance studieuse qui règne dans les grands amphithéâtres, comme dans les salles de cours plus modestes. La comédienne Aurélia Petit est d’ailleurs d’une belle justesse lorsqu’elle prête ses traits à cette enseignante spécialiste de la littérature érotique arabe du Moyen-Âge. Enfin, la réalisatrice présente une banlieue qui n’est pas réductible aux clichés habituels sur l’insécurité. Certes, elle montre bien le poids de certaines traditions patriarcales, mais elle élude la question de l’insécurité pour mieux se concentrer sur quelques jeunes qui semblent bien décidés à prendre l’ascenseur social que l’État français leur propose.
Quelques dialogues trop explicites et une fin en retrait
Certes, on peut sans doute reprocher quelques petites erreurs de jeunesse, notamment lorsque la réalisatrice se fait trop explicite. Ainsi, certains dialogues paraissent un peu trop écrits et didactiques, histoire de bien faire passer le message de tolérance. Toutefois, son appel à dépasser les clichés encore trop souvent véhiculés s’avère salvateur à bien des égards. Son regard empathique ne se fait jamais juge de ses personnages, mais préfère sonder les raisons de chacun d’entre eux et creuser les différences culturelles parfois profondes qui les entrave.
Filmé avec talent par une réalisatrice en pleine possession de ses moyens et porté par un casting toujours juste et crédible, Une histoire d’amour et de désir est donc une œuvre intéressante qui permet d’interroger la masculinité à l’heure où les femmes prennent leur envol, mais aussi le rapport de chacun d’entre nous avec ses racines. Aidée par une musique plutôt sensuelle, Leyla Bouzid signe donc un film qui mérite largement d’être découvert par un public de cinéphiles, et ceci même si sa fin est sans doute un peu faible par rapport à la superbe première heure du métrage.
Une œuvre plébiscitée à raison par la critique
Présenté à la Semaine de la critique à Cannes en 2021, puis sorti au début du mois de septembre de la même année, Une histoire d’amour et de désir a souffert du désamour d’un certain public pour les salles de cinéma à la suite de la crise sanitaire. Ainsi, ils n’ont été que 39 434 amoureux de cinéma d’auteur à faire le déplacement dans les salles françaises. On est loin des résultats encourageants d’À peine j’ouvre les yeux, mais dans un contexte totalement différent. Ce beau film d’apprentissage a pourtant bénéficié du soutien de la presse, puis a obtenu une nomination aux César 2022 pour Sami Outalbalie en tant que meilleur espoir masculin. Sorti uniquement en DVD au mois de décembre 2021, Une histoire d’amour et de désir mérite vraiment le détour et confirme la bonne santé d’un certain cinéma social français.
Critique de Virgile Dumez
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Leyla Bouzid, Morgane Hainaux, Mathilde Lamusse, Sofia Lesaffre, Sami Outalbali, Zbeida Belhajamor, Aurélia Petit