Un fils est un mélodrame conjugal et politique qui interroge sur le sens véritable de la paternité.
Synopsis : Farès et Meriem forment avec Aziz, leur fils de dix ans, une famille tunisienne moderne issue d’un milieu privilégié. Lors d’une virée dans le sud de la Tunisie, leur voiture est prise pour cible par un groupe terroriste et le jeune garçon est grièvement blessé.
Critique : Fares (Sami Bouajila) et Meriem (Najla Ben Abdallah) s’offrent quelques jours de vacances dans le désert tunisien en compagnie de leur fils Aziz, dix ans. Ils sont jeunes, riches et beaux, et représentent la classe sociale aisée de la population tunisienne. Dans la voiture confortable qui les transporte au milieu de paysages aux couleurs chaudes, on chante, on fait des projets. Un bonheur parfait mais fragile qui vole brusquement en éclats quand, lors d’une embuscade terroriste, Aziz est blessé. Il a besoin d’une greffe de foie, dans un pays où la greffe d’organes est encore peu pratiquée car contraire aux croyances religieuses. Bien plus, les analyses effectuées pour trouver un donateur compatible révèlent que Fares n’est pas le père biologique d’Aziz.
Commence alors la description d’un contexte explosif (septembre 2011, quelques mois après la chute du président tunisien Ben Ali et quelques mois avant la mort de Kadhafi, c’est le chaos à la frontière entre la Tunisie et la Libye) tant pour le pays que pour ce couple qui va devoir affronter des épreuves inattendues.
Un fils distille savamment sa narration entre tragédie familiale et suspense
Tout comme son homologue iranien Asghar Farhadi, Mehdi Barsaoui s’appuie sur un drame intime pour établir un habile jeu de miroirs entre les déchirements d’une histoire d’amour et les soubresauts d’un pays tiraillé entre modernité et conservatisme. A l’image de cette famille peut-être pas si idéale qu’elle voudrait le laisser paraître, la Tunisie, pays réputé le plus réformiste du monde arabe, pourrait bien cacher quelques secrets inavouables qu’une narration savamment distillée dévoile peu à peu, entre tragédie familiale et suspense.
Un audit fin de l’état de l’émancipation tant féminine que masculine dans le monde arabe
Pendant que celui qu’il considère comme son fils se bat contre la mort, Farès doit régler les conséquences d’une grève qui affecte son usine tout en tentant d’assumer cette incroyable découverte d’adultère, puni de cinq ans d’emprisonnement par la loi tunisienne. Si humiliante soit elle pour lui, cette infidélité sanctionnée tel un délit par un état machiste, ne manque pas de le renvoyer, lui l’homme ouvert au monde, père attentif et mari aimant, à l’archaïsme de son pays. Acculé par un système médical défaillant, il franchit les portes de l’illégalité pour sauver au prix fort cet enfant qu’il aime plus que tout. Le récit prend alors un ton plus cruel, évoquant les horreurs de la guerre et de ses dérives à travers un insoutenable trafic d’organes et dénonce ainsi la prolifération d’exactions en tous genres impunément commises entre la Tunisie et la Libye.
La multiplicité des sujets pourrait faire craindre un imbroglio scénaristique. Pourtant l’imbrication astucieusement échafaudée entre tourments familiaux et débâcles politiques donne avant tout une vue d’ensemble précise de la difficile mutation d’une nation en proie à bien des embûches culturelles, religieuses ou politiques. La mise en scène accompagne avec une égale sobriété l’intimité de l’espace privé ou la brutalité des conflits, tandis que la caméra, placée au plus près des visages des personnages, les isole dans un cadre devenu trop grand pour eux et rend ainsi compte de toute l’ampleur de leurs émotions. Les regards filmés en gros plans ne cachent rien des sentiments contradictoires qui lient ce couple. Le charismatique Sami Bouajila apporte à la fois virilité et fragilité et son on interprétation toute en nuances lui a valu le prix du meilleur acteur à la Mostra de Venise, dans la section Orizzonti. Le duo qu’il forme avec la séduisante et talentueuse Najla Ben Adallah, surtout connue pour ses prestations télévisuelles, revêt tous les aspects d’une parfaite authenticité.
Un premier film réussi qui, sous couvert de s’intéresser au caractère universel de la paternité, scrute avec élégance l’état de l’émancipation tant féminine que masculine dans le monde arabe.
Critique : Claudine Levanneur