Glauque dans son contexte, son esthétique et sa thématique, Un automne à Great Yarmouth ausculte les failles du capitalisme mondialisé avec une froideur calculée. Le manque total de lumière au bout du tunnel pourra éconduire certains spectateurs.
Synopsis : Octobre 2019, en Grande-Bretagne, trois mois avant le Brexit. Tânia organise le travail, transport et logement des travailleurs immigrés portugais de l’usine de volailles de Great Yarmouth, dans le Norfolk. Flottant dans un monde où les bâtiments sont délabrés et les conditions de travail des ouvriers à l’abattoir particulièrement dures, Tânia apprend l’anglais en rêvant d’ouvrir un jour un hôtel pour y accueillir les touristes du troisième âge.
De la pièce de théâtre au film
Critique : Peu avant le Brexit, le réalisateur portugais Marco Martins se rend en Angleterre dans la localité de Great Yarmouth afin d’y observer les conditions de vie misérables des travailleurs immigrés portugais. Afin de créer une pièce de théâtre, il fait de multiples rencontres et amasse un nombre impressionnant de témoignages tous plus poignants les uns que les autres. Dès lors, il estime qu’il possède suffisamment de matériel pour écrire une pièce de théâtre, mais également pour en tirer un scénario de cinéma qui serait le prolongement de sa pièce.
Alors que le spectacle proposé sur scène était clairement politique et doté d’une volonté documentaire forte, son script préfère embrasser la fiction à travers le destin d’une femme dont on suivrait pas à pas le cheminement. Ainsi, Un automne à Great Yarmouth (2022) est tourné dès le début 2020 en Angleterre, avec un budget minimal. Pourtant, la fatalité s’abat sur le film puisque la crise de la Covid-19 oblige toute l’équipe à stopper le tournage pour revenir au Portugal. Il a fallu attendre la fin de l’année 2020 pour que les affaires reprennent, notamment grâce à un soutien financier du BFI (British Film Institute). Pour un peu Un automne à Great Yarmouth ne voyait jamais le jour, victime collatérale d’une terrible pandémie.
L’automne ressemble terriblement à l’hiver
Ce contexte troublé peut sans doute expliquer l’extrême noirceur qui frappe ce long métrage social dont le constat est pour le moins radical. Comme le dit très bien l’un des personnages vers la fin du film, l’être humain descend peut-être des animaux, mais il ne mérite pas vraiment ce titre, tant il déshonore les espèces dites inférieures par son attitude. Effectivement, dans Un automne à Great Yarmouth, rien ne suinte l’espoir ou la lumière des jours heureux.
Située dans une ancienne ville balnéaire abandonnée par les Britanniques et colonisée par les migrants portugais, l’intrigue suit les pas d’une Portugaise qui guide les nouveaux arrivants dans leurs démarches pour trouver un emploi dans l’abattoir local et leur fournit un logement. Mais attention, point d’inclination humanitaire ici puisque l’héroïne est bien une femme sans scrupules qui exploite ses congénères et qui s’avère être une marchande de sommeil (on signalera le jeu intense de Beatriz Batarda dans un rôle pas si évident). Elle-même dans une misère crasse, elle se débat pour se sortir de cet enfer et pour monter sa petite affaire – un hôtel qui recevrait des touristes britanniques âgés. Pour cela, elle semble prête à toutes les compromissions qui passent notamment par la disparition de personnes encombrantes.
Un système libéral qui avilit animaux et êtres humains
Certes, Marco Martins ne juge jamais ce personnage qui tente de survivre dans cet enfer libéral, mais le spectateur aura sans aucun doute du mal à s’attacher aux pas de cette héroïne finalement assez détestable. Histoire d’appuyer un peu plus sur les plaies du libéralisme britannique forcené – pour mémoire un pays entièrement ruiné par le capitalisme sauvage qui y sévit depuis des décennies – le cinéaste situe son film non loin d’abattoirs où sont froidement exécutées des dindes. Loin de nous épargner quoi que ce soit, Marco Martins filme de manière documentaire l’horreur et l’inhumanité totale de ces lieux de mort. Il semble nous crier à la face qu’un être humain incapable de respecter le vivant ne peut pas se clamer une espèce supérieure. On ne lui donnera pas tort.
A ce constat glaçant, le réalisateur ajoute un nombre conséquent de séquences où certains personnages se retrouvent humiliés. On pense notamment au pauvre Raul (excellent Romeu Runa) qui passe son temps à divertir les Britanniques du cru (l’odieux Kris Hitchen, dans un emploi très éloigné de ceux qu’il tient d’ordinaire pour Ken Loach) en imitant le dindon. Les scènes où il s’humilie volontairement pour plaire à ses hôtes font vraiment mal. Si l’on ajoute encore à cela une esthétique volontiers crade, avec des décors pisseux, Un automne à Great Yarmouth ne propose vraiment aucune lumière dans un monde gangrené par le fric.
Trop de désespoir finit par nuire
Un peu trop rapidement comparé au cinéma de Ken Loach, celui de Marco Martins s’en différencie de manière radicale car le vieux briscard britannique insufflait toujours une forme de solidarité (et donc d’espoir) dans ses œuvres. Ce n’est absolument pas le cas de Martins qui sombre allègrement dans le misérabilisme et dans la noirceur absolue. Cela peut être lassant au bout des deux heures de projection qui semblent bien longues à qui n’a pas envie d’être ainsi maltraité.
Toutefois, son point de vue radical a le mérite d’exister et de pointer du doigt sans fioritures un monde libéral et capitaliste totalement inhumain et qui ne pourra que périr à force de ne rien respecter, ni l’environnement, ni les animaux et encore moins les êtres humains devenus de simples variables d’ajustement de la politique économique.
Critique de Virgile Dumez
Box-office d’Un automne à Great Yarmouth
Sorti à Paris à l’Espace St-Michel et aux Parnassiens, ainsi qu’au François Truffaut de Chilly-Mazarin, Un automne à Great Yarmouth a sabré le moral de 441 franciliens en première semaine, avant de passer à 133 spectateurs en semaine 2. En 3e semaine, la dépression filmique ne tourmente plus que 52 spectateurs dans 1 seul cinéma Parisien, l’Espace St-Michel. En 5e semaine, le distributeur Damned cueille encore 8 spectateurs dans ce même cinéma pour une pêche à 653 curieux.
L’échelle française ne sera guère plus productive : 1 024 entrées (12 salles, 53e), 133e en semaine 2 qui se restreint en fait à la seule fenêtre parisienne. Ce film portugais coup de poing cesse de respirer à 1 236 entrées. La Province n’en aura jamais voulu.
Heureusement, Damned l’éditera en vidéo dans une édition de qualité mais tirée en peu d’exemplaires. La force du format physique… il est encore temps de se l’approprier avant sa disparition annoncée.
Box-office de Frédéric Mignard
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Marco Martins, Kris Hitchen, Nuno Lopes, Beatriz Batarda, Romeu Runa
Mots clés
Cinéma portugais, Films anticapitalistes, Films sur les migrants, Critique sociale