Twist à Bamako de Robert Guédiguian tisse une fresque colorée et vivante pour ressusciter un pan méconnu de notre histoire coloniale.
Synopsis : 1960. Samba, jeune militant socialiste dont le père est un commerçant bien installé de Bamako, rencontre au cours de l’une de ses missions en brousse Lara. Lara profite de Samba pour fuir sa famille qui veut la marier de force. Tandis que Lara découvre une nouvelle vie à Bamako, Samba commence à contester haut et fort certaines décisions de sa hiérarchie depuis que son père a été emprisonné. Nos deux héros se retrouvent un soir dans un des nombreux clubs de danse de Bamako et jurent de ne plus jamais se quitter. Mais les évènements vont en décider autrement…
Critique : Il n’y a pas que Marseille dans la vie et dans le cinéma de Guédiguian. Si le réalisateur militant a parfois emprunté des chemins de traverse, il n’a jamais perdu de vue ses idéaux. Le promeneur du Champ-de-Mars raconte la fin de règne et la fin de vie de François Mitterrand, premier Président socialiste de la cinquième République, tandis que quatre ans plus tard, l’Armée du crime retrace le parcours du groupe de résistants communistes mené par Missak Manouchian, un immigré résistant venu de cette Arménie dont il est lui-même originaire et et dont il dresse un tableau sans mièvrerie à travers Le voyage en Arménie.
Troquant une nouvelle fois son quartier de l’Estaque et son climat méditerranéen contre les couleurs chatoyantes de l’Afrique, le cinéaste dirige ses pas vers le Mali des années 60 qui, tout récemment débarrassé de la domination française, est en quête d’un renouveau politique.
Entre approche documentaire et fiction, l’auteur confirme son éternel désir de dénoncer les inégalités et les injustices d’ici ou d’ailleurs et de prêter sa voix à ceux qui luttent pour de meilleures conditions de vie. Au centre de ce décor africain, évolue Samba (Stéphane Bak).
Fils d’un riche commerçant, bercé par les airs yé-yés venus d’outre-Atlantique ou d’Europe, le jeune homme est persuadé que le salut de son pays passe par l’avènement du socialisme. Délaissant son costume de soirée pour le treillis, il arpente toute la journée les villages maliens pour convaincre les paysans du bien-fondé de son combat pour le partage des richesses, le goût du travail collectif. S’il se heurte à la méfiance des commerçants de Bamako, à la crainte de la perte des traditions ancestrales de la part des anciens, et à l’opposition des dirigeants politiques qui voient dans toutes ces mesures une idéologie contre-révolutionnaire, ses pérégrinations quotidiennes le mènent vers Lara, une toute jeune femme, qui fuit une famille qui l’a mariée de force. La sauver des griffes de ses bourreaux ajoute une dimension supplémentaire à leur combat, qui, entre suspense et avancée féministe, s’ enjolive de notes définitivement romanesques.
Fidèle à son sens du réalisme, Robert Guédiguian n’occulte rien des échecs de ses héros, ni du lot de rancœurs et de perfidies qui les accompagnent. En s’appuyant sur une histoire d’amour belle et tragique pour sublimer cette quête de liberté, en entremêlant révolution et fête, sensualité et affrontement, en nous régalant des couleurs chaudes de cette Afrique bouillonnante, il affirme haut et fort que la naissance d’un monde meilleur ne se fait pas obligatoirement dans la douleur mais peut aussi être synonyme d’enthousiasme et de beauté. Ce dont le charisme et l’authenticité du couple formé par Stéphane Bak et la délicieuse Alice De Luz n’ont aucun mal à nous convaincre.
Et alors que l’on se laisse emporter par une bande-son qui nous ramène aux meilleures heures des rythmes de Johnny Hallyday, Claude François, Ray Charles et même du chanteur malien Boubacar Traoré, on se surprend à rêver que la lutte des classes est universelle quel que soit le costume, la langue, la religion ou la couleur de peau.