Dans The Old Oak, comme lassé par les turpitudes de ce monde décidément incorrigible, Ken Loach s’écarte du combat purement politique pour la fable tendrement militante.
Synopsis : TJ Ballantyne est le propriétaire du “Old Oak”, un pub situé dans une petite bourgade du nord de l’Angleterre. Il y sert quotidiennement les mêmes habitués désœuvrés pour qui l’endroit est devenu le dernier lieu où se retrouver.
L’arrivée de réfugiés syriens va créer des tensions dans le village.
TJ va cependant se lier d’amitié avec Yara, une jeune migrante passionnée par la photographie. Ensemble, ils vont tenter de redonner vie à la communauté locale en développant une cantine pour les plus démunis, quelles que soient leurs origines.
Critique : Depuis de nombreuses années, le cinéaste britannique Ken Loach dénonce les conséquences de la désindustrialisation et du libéralisme. Il n’en faut pas davantage pour faire de lui le spécialiste du réalisme social. Pour ancrer ses propos dans un décor adéquat, il a l’habitude d’installer ses tournages dans des régions ouvrières qu’il connaît bien : anciens bastions industriels, mines de charbon désaffectées, là où s’entassent les laissés-pour-compte.
En 2016, à travers Moi Daniel Blake, il laisse éclater sa révolte face au cynisme administratif toujours prêt à lapider les éléments les moins performants du système. En 2018, avec Sorry We missed you, il se livre à une analyse sans concession des effets destructeurs du capitalisme sur les classes les plus modestes. Deux manières de relater le quotidien de personnes installées dans des territoires oubliés et prises au piège d’une société fragmentée, sans grand espoir de survie. Tournant cette fois le dos à la tragédie, Ken Loach focalise son attention sur la générosité et la solidarité qui animent encore et toujours cette population abandonnée des pouvoirs publics, sans toutefois nier les difficultés auxquelles elle doit régulièrement faire face.
Dave Turner dans The Old Oak de Ken Loach © Sixteen Oak Limited, Why Not Productions
Le Royaume-Uni d’avant le Brexit face aux premiers migrants syriens
C’est à nouveau dans le Nord-Est de l’Angleterre que se situe, en 2016, notre épopée. Précisément au moment où débarquent, dans ces contrées peuplées de maisons vides aux loyers peu onéreux, plusieurs familles de réfugiés syriens fuyant la guerre dans leur pays. L’occasion rêvée de donner libre cours au racisme rampant attisé par quelques fervents partisans d’un nationalisme pur et dur. Il ne s’agit pourtant pas de vrais méchants, juste des êtres portés par un sentiment d’injustice et de déclassement et qui cherchent un bouc émissaire pour justifier leur mal-être. The Old Oak, ce bar aux murs délabrés et aux meubles fatigués sert de cocon pas forcément douillet aux séances publiques où s’affrontent deux clans…Celui des habitués du lieu qui entendent bien défendre leurs pintes et leur pré carré et celui de ces habitants cabossés, qui se souviennent que l’union a toujours fait la force, et qui comprennent vite la réalité de ces déracinés dont le lieu d’arrivée n’est guère plus enviable que la situation qu’ils ont quittée.
Dans ce repaire de la misère que dépeint The Old Oak, grandit pourtant une amitié pudique entre Yara (Ebla Mari), une jeune photographe syrienne déterminée et maîtrisant parfaitement la langue de Shakespeare, qui noie sa détresse dans son art et TJ Ballantyne (Dave Turner), un homme quelque désabusé. Autrefois figure influente au sein de sa communauté, désormais propriétaire du dernier pub en activité, il est touché par les récits d’exil des nouveaux arrivants et tout particulièrement par celui de Yara.
The Old Oak, ultime film de Ken Loach, sent-il le sapin ?
Et voilà que notre réalisateur, le grand âge venu, se fait soudainement sentimental et s’engouffre dans la voie d’une béatitude à tout crin. Il escamote avec une surprenante naïveté les obstacles qu’en toute logique, une telle situation aurait dû susciter. Bien sûr certains s’offusqueront de cette tendance à la mièvrerie facile. Pourtant, l’authenticité des personnages (mention spéciale à l’émouvant Dave Turner), l’humanité profonde qui jaillit des scènes de partage, l’entraide plus forte que le renoncement et le repli sur soi composent le tableau d’un monde d’optimisme et de réconciliation qui va droit au cœur.
Et puis, au moment où le pire l’emporte trop souvent sur le meilleur, décider de mettre à l’honneur des femmes et des hommes de bonne volonté ne s’apparente-t-il pas à un acte de résistance ?
A 87 ans, Ken Loach annonce que The Old Oak sera son ultime film. Ce conte d’une Angleterre pré Brexit revient donc aux sources du malaise qui secoue le Royaume-Uni depuis quelques années. La saveur boisée a conquis de nombreux publics dans différents festivals internationaux faute de repartir de Cannes avec un prix.
Les sorties de la semaine du 25 octobre 2023
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