The Amusement Park de George A. Romero, œuvre de 1973 miraculeusement retrouvée en 2019, apparaît pour la première fois sur nos écrans. Cette étrangeté est d’une actualité douloureuse et s’avère être passionnante et révélatrice du style documentaire du Romero de l’époque.
Synopsis : Alors qu’il pense passer une journée paisible et ordinaire, un vieil homme se rend dans un parc d’attractions pour y découvrir un véritable cauchemar.
L’incroyable histoire d’une œuvre restée invisible pendant près de cinquante ans
Critique : Tourné en 1973, peu après Jack’s Wife (également connu sous le titre de Season of the Witch), The Amusement Park intervient dans la carrière de George A. Romero alors sans le sou en raison des problèmes de droits qui ont suivi la sortie tumultueuse de La nuit des morts vivants.
A cette époque, Romero tourne des micro-budgets, des publicités assez sophistiquées et répond même positivement à l’appel d’une association religieuse qui lui commande une fiction pour inciter la société à mieux prendre en compte les personnes du troisième âge. Romero accepte la tâche, et filme cru, comme il l’avait fait avec ses deux précédents longs (There’s Always Vanilla, Jack’s Wife-Season of the Witch). Il reprend la teneur indépendante et expérimentale de ces deux métrages, le caractère filmique étrange d’un 16mm qui sera encore le sien sur le vampirique Martin, l’un de ses trophées. The Amusement Park épouse ainsi le style esthétique de toute une décennie d’œuvres à l’allure de documentaires fauchés, abordant systématiquement la thématique d’une société américaine en déliquescence. Romero vent debout contre les modes et le système est ici à son meilleur.
The Amusement Park, œuvre totalement inconnue, qui apparaissait comme un objet perdu dans la filmographie de l’auteur, n’avait jamais été montrée à ce jour. Le résultat est percutant. Le film de 54 minutes apparaît comme un joyau perdu qui synthétise toute l’ardeur et le jusqu’au-boutisme de la sociologie du créateur de Zombie. Ce n’est certes pas un grand film de par le budget et quelques contraintes extérieures, mais une authentique expérience filmique qui s’assume en cauchemar éveillé. Surtout, The Amusement Park, dans toutes les obsessions du cinéaste, est une commande devenue éminemment personnelle. En s’arrogeant un sujet fort, Romero dresse de ces personnes âgées un effroyable portrait de l’exclusion. On y retrouve ces figures de parias récurrentes tout au long de son cinéma contestataire et dont forme la plus mythique sera celle du mort-vivant, avec sa franchise culte.
Attention, non-assistance à personne en danger
La métaphore du parc d’attraction dans lequel se rend un vieillard pour passer une belle journée est forte. L’homme va connaître des montagnes russes d’émotions ; dans ce lieu ludique, il est bousculé par la violence d’une société aigrie, avide, égoïste, tournée vers une consommation aveugle qui détourne l’individu de ceux qui ne la servent pas. Pour donner de la consistance à sa critique, Romero utilise le ton de la satire fantastique. On reconnaît le cadre d’un épisode de La quatrième dimension et c’est bien l’étrangeté des premières œuvres de David Lynch que le réalisateur de Creepshow anticipe. La narration cadre est glaçante et l’antichambre de la mort que représente une pièce blanche au milieu de cette fête foraine, distille l’angoisse de l’universel. Nous y passerons tous. Et même en y arrivant avec le sourire, notre lot y sera décidément sinistre.
Avec son pessimisme intrinsèque à son auteur, The Amusement Park n’a pas convaincu l’association religieuse qui l’avait commandé. Celle-ci a tout simplement fait disparaître le résultat, gênée par la violence et le discours forcément iconoclaste.
The Amusement Park révolte plus qu’il n’amuse
En 2021, le film sort dans les cinémas en France via Potemkine. Une initiative qui fait écho aux travers de notre société malade. Ce qui est passionnant avec cet OVNI inquiétant des années 70, c’est bel et bien son discours d’anticipation. La crise de la Covid a démontré l’animosité de ceux qui travaillent et de ceux qui veulent s’amuser envers les générations plus âgées qu’ils ont condamnées unanimement pour leur inutilité. La mise à l’écart de l’autre, l’ostracisme de ce lui qui est différent, c’est une thématique chère à l’auteur. Les vieux, aux perspectives forcément plus sombres, et qui mériteraient bien un peu de lumière, deviennent des morts errants de leur vivant. De quoi préfigurer l’aube des morts-vivants...
Romero était un révolté ; on n’ose donc imaginer ce qu’il aurait pensé des discours contemporains sur nos aînés, alors que sa génération-même est attaquée de toute part, par certaines gauches et évidemment par toutes les droites qu’il conspuait de son vivant. Paix à son âme. On ira voir et revoir ce jalon de la contre-culture américaine d’une époque bien plus passionnante que celle “woke” et raciste que l’on nous sert sur les plateformes et les plateaux de CNEWS.