Sur l’Adamant est un succès du cinéma du réel ; le prestigieux Ours d’or de la 73e Berlinale est le 3e plus gros carton du documentaire de l’année 2023. Nicolas Philibert, inspiré au-delà du réel, n’avait pas connu pareil succès depuis 2002 et Être et avoir. Force est d’admettre qu’il a encore fait fort.
Synopsis : L’Adamant est un Centre de Jour unique en son genre : c’est un bâtiment flottant. Edifié sur la Seine, en plein cœur de Paris, il accueille des adultes souffrant de troubles psychiques, leur offrant un cadre de soins qui les structure dans le temps et l’espace, les aide à renouer avec le monde, à retrouver un peu d’élan.
L’équipe qui l’anime est de celles qui tentent de résister autant qu’elles peuvent au délabrement et à la déshumanisation de la psychiatrie.
Ce film nous invite à monter à son bord pour aller à la rencontre des patients et soignants qui en inventent jour après jour le quotidien.
Le nouveau triomphe de Nicolas Philibert
Critique : Février 2023, la présidente du jury, Kirsten Stewart dévoile le palmarès de la 73e Berlinale. Un film du réel y est consacré. Sur l’Adamant de Nicolas Philibert. La surprise est totale. Est-ce pour autant la consécration pour son réalisateur ? Que nenni. Le peintre d’un cinéma de l’invisible n’en est pas à son premier coup d’éclat. Cinéaste cannois qui a fait le tour du monde, il a notamment connu un triomphe mondial avec Être et avoir, en 2002. Il y observait une classe rurale où l’on avait regroupé des enfants d’âges différents. Une école à classe unique, autour des pédagogies dynamiques de son instituteur qui fourmillait d’idées dans la périphérie lointaine de l’éducation nationale. En France, 1 800 000 spectateurs s’y précipitent. Aux USA, avec l’inflation arrêtée en 2024, on peut dire que To Be and to Have a rapporté plus de 1 300 000$. De l’Allemagne à l’Australie, le monde voyage en Auvergne créant un lien toujours plus fort entre la France de Philibert et le monde globalisé par l’image. Au total, ce sont 16 000 000$ que ce regard tendre sur l’enfance génère aux quatre coins de la planète, soit 27M$ rapportés à notre époque. Chapeau.
Sur l’Adamant est donc de nouveau un jalon dans une carrière hors du commun. C’est même le troisième documentaire en France en terme d’entrées en 2023. C’est aussi le premier chapitre d’une trilogie sur les structures et le système psychiatriques à Paris, plus particulièrement sur les unités intra-hospitalières du pôle Paris Centre. Averroes & Rosa Parks, également sélectionné à Berlin mais en 2024, et La machine à écrire et autres sources de tracas, que l’on découvrira plus tard, complètent ce triptyque qui joue du chapeau.
Cargo de jour
Philibert est passionné par l’humain et ses marginaux. Il a déjà investi les lieux où l’on répare les bobos de l’âme que son père philosophe connaissait déjà si bien et dont il porte à sa façon l’héritage. En 1997, dans La moindre des choses, il investissait une clinique psychiatrique, près de Blois, pour y observer la rencontre de l’art et des pensionnaires de La Borde. Il y captait la préparation joviale d’une pièce jusqu’à son accomplissement en fin de métrage, avec une appétence pour le collectif qui rendait ce conte d’été aussi solaire que chaleureux. Philibert achevait La moindre des choses par une conclusion imparable avec la parole de l’un de ses pensionnaires : “c’est votre société qui m’a rendu malade”.
Sur l’Adamant (2023), à son tour, pose ses caméras dans un lieu hors du commun, un Centre de jour, inclusif et bienveillant, situé sur la Seine à Paris. Un espace unique dans son architecture, ouvert dans son agencement et son cadre exceptionnel. Exit la paisible campagne du Loir et Cher. Ici, l’environnement urbain, que la caméra ne filme pas directement, est omniprésent de par les bruits lointains de la ville ou l’horizon de tours et de ponts qui servent d’arrière-plan extérieur, le tout emmitouflé par le ciel et l’ambiance fluviale protectrice. Indéniablement, l’eau estompe les maux. Dans le Paris de l’anonymat, ce berceau de paix est filmé en été, une saison verte où l’on jardine aussi à bord de ce cargo de jour amarré quai de la Râpée.
Etre et parler : sur l’Adamant, tu communiqueras
Le film lieu se fait le récit des habitués de l’Adamant, comme on pouvait parler des piliers de bar, des doux-dingues qui trouvent dans ce cadre chaleureux un espace de socialisation ouvert une fois de plus à l’art : on y chante (de beaux instants de cinéma vérité), on y dévoile ses peintures, on y découvre des films dans un ciné-club, prend des photos. Des activités carrément “bobos” pour ces solitudes en peine soustraites de l’indifférence de la société. Dans ce carrefour de la ville, on y parle Wenders, Agnès Varda, comme dans un quartier branché du coin. On y trouve surtout ce besoin de communication nécessaire pour entretenir l’esprit et exorciser ses névroses.
Avec sa caméra en retrait du monde réel, mais connectée à la réalité de ces âmes troublées, Nicolas Philibert filme une réussite humaine. La société française déplore l’effondrement des soins psychiatriques et l’envolée des troubles du cerveau, y compris chez les plus jeunes depuis le grand confinement de 2010, mais l’Adamant fait figure d’exception. Il s’érige comme un lieu de résistance face à la faillite du système. Il y règne donc une douceur, un engagement, un volontarisme réels, tant chez les psychiatres que l’on distingue à peine des patients dans leur tenue, que chez ces hôtes, faussement naïfs, car convaincus par leur état. Ces derniers sont pertinemment persuadés qu’au-delà de la communication, ils dépendent avant tout de traitements médicamenteux. La perspicacité du malade mental face à son état est une conscience fluctuante qui imprègne les témoignages pluriels, d’hommes ou de femmes, de vingt ans ou la soixantaine bien entamée. Ils évoquent sans fausse pudeur des thématiques douloureuses comme la parentalité, parfois qu’on leur a arrachée, et leur singularité psychiatrique. A chacun ses délires dans ce monde de la diversité psychique.
Philibert filme de drôles de moments dans une décence de chaque instant. Point de voyeurisme, encore moins de sensationnalisme, mais des tranches d’humanité qui nous convainquent au-delà du drame. Son film est social. Dans cette observation de l’autre qui passe beaucoup par la volubilité des protagonistes, rarement par les silences, un intervenant lâche : C’est pour cela que j’aime bien parler, cela m’évite de parler dans ma tête et dans mon ventre. Il évoque alors les humains qui ont tous des vieilles haines… Cette fameuse société du rejet que pointait déjà du doigt La moindre des choses du même Philibert. C’est qu’entre la sortie de celui-ci en mars 1997 et celle de Sur l’Adamant en avril 2023, la démence s’est généralisée dans une société malade et hors de contrôle, gardée à distance de ce havre de paix qu’est l’Adamant.
Box-office de Sur l’Adamant
Sorti le 19 avril 2023, Sur l’Adamant est passé de 115 copies en première semaine à 280 en semaine 4, dans un tour de France plus que respectable. En première semaine, cette œuvre estampillée France Culture séduit 42 447 spectateurs. Elle entre brillamment en 14e place du box-office national quand la meilleure nouveauté de la semaine, signée Dany Boon, vendait très maladroitement “La vie pour de vrai“. Le documentaire saura résister à l’érosion avec deux belles semaines supplémentaires à plus de 20 000 entrées, un quatrième tour à 15 000 entrées, et un total de 133 000 visiteurs in fine. Pour un budget de moins d’un million d’euros, la rentabilité est totale. C’est même le troisième meilleur résultat pour un film distribué par Les Films du Losange en quatre ans sur plus de 35 films. Seuls Un silence (Joachim Lafosse, 2024), et Les intranquilles (Joachim Lafosse, 2021) le devancent.
Sur l’Adamant est nommé dans la catégorie du Meilleur documentaire aux César. On lui souhaite tout le succès qu’il mérite. Il pourrait bien offrir à son illustre auteur enfin ce prix qu’il n’a étrangement jamais reçu. En effet, malgré son triomphe, Être et avoir n’avait été gratifié que du César du meilleur montage. La catégorie Meilleur documentaire n’existait alors pas. Être et avoir était toutefois nommé dans la catégorie du Meilleur film et du Meilleur réalisateur. Excusez du peu.
Le DVD de Sur l’Adamant
Compléments & packaging : 4.5 / 5
Face à l’engouement autour du film, l’éditeur Blaq Out pare l’édition DVD de deux disques, avec notamment en supplément, la présence du film Nicolas Philibert, hasard et nécessité (2019). Cette conversation d’1h30 entre Philibert et Jean-Louis Comolli (2019) est un must pour comprendre le processus créatif de Philibert dans le domaine finalement très subjectif et artistique de la caméra invisible. Une autre interview de Philibert, d’une durée de 21 minutes, gratifie la section bonus. On appréciera beaucoup le livret de 12 pages, avec encore une série de questions posée à l’auteur du documentaire. Celui-ci revient notamment sur l’exercice du triptyque et rassure sur l’indépendance de chacun des films. Même s’ils sont liés, il ne faudra nullement avoir eu besoin de voir Sur l’Adamant pour apprécier les deux autres chapitres.
Une belle édition vidéo qui saura faire le tour des médiathèques et des hauts lieux de culture, voire enrichir les étagères des spectateurs concernés ou non par son sujet, mais en tout cas sensibles à son humanisme.
Image & Son : 4 / 5
Filmé sans fioriture, tantôt en intérieur ou dans des lieux ouverts sur l’extérieur assez lumineux, Sur l’Adamant bénéficie d’une définition nette et précise qui valorise l’aspect documentaire.
Le format sonore, 2.0 ou 5.1, est accompagné de sous-titres pour les sourds et malentendants. La piste multicanale permet d’insister sur l’environnement urbain assez lointain, mais néanmoins important.