Comédie indépendante sympathique et attachante, Red Rocket n’égale pas The Florida Project mais permet de passer un bon moment.
Synopsis : Mikey Saber revient dans sa ville natale du Texas après des années de carrière de pornstar à Los Angeles. Il n’y est pas vraiment le bienvenu… Sans argent, sans emploi, il doit retourner vivre chez son épouse paumée et sa belle-mère… Pour payer son loyer, il reprend ses petites combines mais une rencontre va lui donner l’espoir d’un nouveau départ.
Une comédie sur l’Amérique profonde
Critique : Sean Baker avait été révélé par plusieurs petits films indépendants dont Tangerine (Prix du jury à Deauville 2015), tourné avec trois smartphones, et surtout The Florida Project (Quinzaine des Réalisateurs 2017). On avait apprécié ce portrait incisif d’une Amérique des laissés-pour-compte, caractérisé par une absence de concessions et l’interprétation attachante de plusieurs acteurs dont Willem Dafoe. Red Rocket met au cœur de son récit une galerie de personnages similaires, dans un pays qui s’apprête à devenir trumpiste, la télévision diffusant des actualités où l’on évoque les candidatures de Hilary Clinton et de son adversaire aux élections présidentielles. Et il est fort à parier qu’une partie des losers décrits dans le film s’apprêteront à voter pour le milliardaire… L’action est située au fin fond du Texas, dans une bourgade où les seuls loisirs sont de s’avachir sur son canapé en regardant des séries télévisées une bière à bon marché dans la main ou, quand on réussit à glaner quelques billets verts, à traîner dans la boutique de donuts.
Sean Baker adopte dès la première scène un ton délibéré de comédie qui désamorce la noirceur ambiante. Le comique est essentiellement de situation, avec des dialogues enlevés, coécrits avec Chris Bergoch. Car le parcours de Mikey, son antihéros, ne cadre pas avec celui de son entourage familial et de voisinage. Il a certes connu les fins de mois de difficiles et les petites combines, mais sa longue absence a occasionné un trou de dix-sept dans son CV, que seules son épouse et sa belle-mère peuvent expliquer. C’est que Mikey a été une star du porno à Los Angeles et a connu une gloire éphémère, avant de tomber de son piédestal et d’être complètement fauché. Comment rebondir quand, déchu et anonyme, il ne fait que susciter indifférence et mépris ? Red Rocket est très drôle, en particulier dans les séquences d’affrontement avec l’épouse (subtile Bree Elrod) et sa mère.
Red Rocket ou la tradition du cinéma indépendant
Ces scènes évoqueront au spectateur un certain cinéma indépendant américain, quand Kevin Smith (Clerks, les employés modèles) ou Tom DiCillo (Johnny Suède) bricolaient des comédies underground avec trois bouts de ficelle. Nul mépris et condescendance du réalisateur envers des êtres en marge tentant tant bien que mal de survivre ou rebondir. Mais Mikey joue avec le feu, séduisant une Lolita de fast food surnommée Strawberry (la délicieuse Suzanna Bon), dont il compte bien faire la nouvelle star du X en fondant sa propre société de production. Il n’est pas superflu de préciser que cet élément de scénario était plutôt risqué pour Sean Baker, surtout en cette période de retour à l’ordre moral. Là encore, le réalisateur s’en tire plutôt bien, grâce à un rythme enlevé et un humour qui contrebalance les situations glauques et scabreuses. Le cinéaste est également bien aidé par l’interprétation de Simon Rex.
Inconnu en France, ce comédien a d’abord été pornstar (comme son personnage), avant devenir interprète de séries B (deux Scary Movie), rappeur, et de travailler pour la télévision en tant qu’animateur, acteur, producteur et scénariste. Son jeu vaut bien celui d’un Adam Sandler ou d’un Ben Stiller. Pour autant, cette comédie sympathique et plutôt bien fichue semble conduire Sean Baker dans la voie d’une normalisation. Comparativement à The Florida Project, Red Rocket peut paraître moins ambitieux et davantage convenu eu égard aux critères de la comédie indépendante US. Sa sélection en compétition officielle du Festival de Cannes semble ainsi excessive, cette œuvre ayant davantage sa place dans la section Un Certain Regard ou en Séance de Minuit. Tel quel, Red Rocket permet de passer un agréable moment.
Critique de Gérard Crespo