L’ultime film de Jean-Claude Brisseau. Une suite de marivaudages sensuels et spirituels chez un auteur plus sage et plus optimiste que précédemment.
Synopsis : Camille, belle femme dans la quarantaine, ramasse le téléphone portable que Suzy a perdu dans une gare.
Quand Suzy appelle son propre numéro, elles conviennent d’un rendez-vous chez Camille pour que la jeune femme puisse récupérer son bien. Pendant cette rencontre, Suzy fait aussi la connaissance de Clara, la compagne de Camille. Mais elles sont interrompues par Fabrice, amant éconduit de Suzy, ivre, qui essaye de ramener la jeune femme à lui.
Pendant que Clara emmène Suzy se cacher dans un appartement au-dessus du leur, où loge déjà l’étrange «« Tonton », vieux sage épris de yoga, Camille tâche de calmer Fabrice et peu à peu, le console.
C’est dès lors un étrange chassé-croisé qui commence : Camille noue une histoire passionnée avec Fabrice, tandis que Tonton initie Suzy à la méditation et à la lévitation.
Peu à peu, chacun trouve sa propre voie vers le bonheur, sa propre place dans le jeu des sentiments.
Crédits : Les Acacias 2018 – Le site du distributeur
Notre avis : Loin de ses drames sociaux des années 80 (De Bruit et de fureur, Noce blanche), Jean-Claude Brisseau se retranche un peu plus dans un cinéma subversif, où la sexualité est crue mais sublimée, érotique et métaphysique, dans tous les cas, artistique.
Depuis l’hypnotisant Choses secrètes, qui représente un paroxysme artistique et une claque dans sa carrière, le cinéaste n’a pas cessé d’infiltrer les troubles complices et extatiques de jeunes femmes en proie à des délires parfois morbides où l’on peut aisément imaginer le maître-marionnettiste tirer les cordes.
Brisseau, auteur absolu, manipule de ce fait ses obsessions, écrasant de ses mots et de ses références culturelles de cinéaste lettré, ses actrices charnelles, qui déclament leur texte à la façon pointilleuse des égéries de la Nouvelle Vague, offrant à son cinéma une étrangeté de plus dans une constellation du bizarre qui fascine.
L’auteur ne s’excuse pas d’être différent des auteurs pudibonds des années 2000. Influencé par les penseurs de la décennie 70, il n’est pas là pour céder au politiquement correct que les féministes d’aujourd’hui, celles qui ont fait plier la Cinémathèque de Costa-Gavras, qui envisageait de lui consacrer une rétrospective à l’occasion de la sortie de ce film, aimeraient voir expier.
Le cinéaste radical explore ses thèmes fétiches, avec les préoccupations de son âge. Il incarne lui-même un second rôle qui succombe des problématiques de ce même âge, philosophe, sage, mais vulnérable. Toutefois, il ne cède pas non plus à l’aveuglement quant aux années de libertés post-68, vue à travers le prisme du personnage de Fabienne Babe, qui paie au prix fort les dérives d’une génération sans tabou. Le réalisateur des Anges exterminateurs, moins sulfureux qu’auparavant, s’intéresse plus que jamais à la féminité qu’il envisage avec sérénité. Pour cela, il s’appuie sur trois portraits de femmes qu’il réunit au lit ou sur le fauteuil de l’analyse.
La noirceur inhérente à son cinéma, présente peut-être au début, dans quelques récits glauques, s’évapore très vite, comme si cette fois-ci le réalisateur privilégiait le marivaudage, jusqu’à une fin en forme d’éclat de rire qui voit l’amour triompher.
Cette femme qu’il dépeint est-elle davantage celle fantasmée que se représente l’homme-artiste ou répond-elle à l’une des 1001 réalités de notre époque? On ne cherche pas à le savoir, le créateur reste l’auteur qui ici ne se veut réaliste en aucune façon. Sexuelle, bisexuelle, aimante ou aidante, la féminité se déploie surtout dans l’extase, à travers un accomplissement personnel qui passe par l’autre, enfin débarrassée des jougs à porter contre sa liberté d’être.
Des rencontres cocasses autour d’un mystérieux téléphone distillant des vidéos charnelles propres aux habitudes d’une jeune génération – qui interpellent inévitablement le rapport à l’image qu’entretient Brisseau-cinéaste -, jusqu’aux ébats coquins à deux, trois, avec ou sans hommes, l’auteur semble tisser une complexité psychologique entre ces êtres en souffrance. Il leur donne dans l’art un magnifique moyen d’épanouissement, pour enfin finaliser son œuvre sur des problématiques universelles simples, l’argent, mais surtout l’amour. A l’image du personnage périphérique de tonton, vieux sage imprégné de yoga, joué par l’éternel iconoclaste Jean-Christophe Bouvet, le film s’achève de façon apaisée, quand tout n’est que tempête autour de Brisseau. Finalement n’est-ce pas là le grand plus pied de nez fait à ses détracteurs ?
Affichiste : Alain Baron
Critique de Frédéric Mignard