Film d’horreur écolo et progressiste, Prophecy le monstre est surtout une œuvre terriblement maladroite alignant tous les poncifs du genre de manière scolaire. On en pouffe parfois de rire.
Synopsis : Le docteur Robert Verne, qui exerce sa profession de médecin dans un quartier pauvre de Washington, est engagé par l’Agence de Protection Gouvernementale pour enquêter sur d’éventuelles conséquences écologiques d’une usine de pâtes et papier sur une forêt située près d’Androscoggin dans le Maine. Dès son arrivée, avec sa femme Maggie, il perçoit la tension existant entre les employés de l’usine et les Indiens de la région, qui accusent l’industrie d’empoisonner la forêt. Dans leur village, naissent occasionnellement des enfants avec des malformations congénitales. Robert Verne s’aperçoit bientôt qu’il y a du mercure dans l’eau de la rivière qui alimente l’usine. C’est lui qui sert d’agent mutagène à l’origine des malformations congénitales des nouveau-nés. De plus, Verne et les autres doivent tout à coup affronter un énorme ours mutant, surnommé Kathadin par les Indiens, qui hante la forêt et y sème la mort et la terreur.
Critique : Grand spécialiste de thrillers à fort sous-texte politique, mais aussi du film d’action, John Frankenheimer a signé au cours de sa carrière des œuvres importantes comme Le prisonnier d’Alcatraz, Un crime dans la tête, Seconds, l’opération diabolique, ou encore Black Sunday qu’il vient tout juste d’achever lorsque la Paramount lui propose de mettre en images le script de David Seltzer, scénariste du moment grâce au triomphe de La Malédiction (1976). Si John Frankenheimer n’a jamais été passionné d’horreur, on peut aisément comprendre ce qui l’a attiré dans le scénario de Seltzer, à savoir un sous-texte progressiste franchement orienté écolo.
Le long-métrage commence tout d’abord dans les quartiers chauds de Washington où la misère de la communauté noire est décrite avec beaucoup de réalisme. On y parle d’exploitation par des marchands de sommeil blancs d’une population noire défavorisée obligée de vivre dans des conditions d’insalubrité scandaleuses. Rapidement, le héros est invité à quitter ce cadre urbain pour se retrouver en pleine campagne du Maine (en réalité le Canada où le film a été tourné pour bénéficier de conditions financières avantageuses). Dès lors, le film chausse les pas de tous les films d’horreur à visée écologique qui ont proliféré au cours des années 70 : un scientifique avisé découvre une pollution à grande échelle qui touche à la fois les habitants de la région, ainsi que la faune locale, mais les autorités vendues au capitalisme refusent de voir l’évidence et précipitent ainsi le drame lorsqu’un animal féroce décide de venger mère Nature. Ici, il s’agira d’une espèce de grizzly mutant à la peau à vif.
Jaquette VHS de Prophecy le monstre, d’après un visuel de © Paul Lehr. Tous droits réservés
Histoire de donner plus de poids à leur dénonciation, Seltzer et Frankenheimer en profitent pour situer cette pollution dans une forêt indienne, insistant ainsi sur la destruction progressive des populations autochtones par le rouleau compresseur capitaliste blanc. Là encore, les clichés fusent à la vitesse de la lumière, puisque les Indiens sont forcément des êtres dignes en accord profond avec la nature, contrairement aux blancs qui sont tous d’avides profiteurs. Enfin, la contamination au mercure touche également le couple de héros puisque la compagne incarnée avec fragilité par Talia Shire est enceinte et risque donc d’avoir un bébé mutant. Toutefois, si ces pistes sont évoquées pendant toute la première heure très bavarde du film, les auteurs n’en font rien dans la seconde partie. Car le but principal du studio n’était pas de faire un film engagé, mais bien de profiter au maximum du succès des films d’attaques animales depuis le triomphe international des Dents de la mer en 1975.
Dès lors, la seconde partie déroule des scènes d’action prévisibles où le monstre en question est souvent laissé dans la pénombre. Le cinéaste, visiblement peu impliqué dans ces séquences, ne parvient jamais à créer la tension nécessaire et tombe malheureusement quelque fois dans un comique involontaire. On pense à ce canard qui se fait manger par un monstre aquatique non identifié en lâchant un petit cri Z, mais aussi au touriste agressé qui s’enfuit en restant empêtré dans son sac de couchage (pour une fois le ridicule tue). Au final, on ne retient pas grand-chose de cette partie si ce n’est que le personnage de Talia Shire ne sert effectivement à rien et que l’ensemble du film n’est qu’un vaste cliché.
Le succès ne fut d’ailleurs pas vraiment au rendez-vous pour cette œuvre aux nobles ambitions politiques, mais aux innombrables maladresses dues à un réalisateur décidément peu à l’aise dans le registre du fantastique, comme il le prouvera encore en tournant en 1996 L’île du docteur Moreau de piètre mémoire. On préférera donc se souvenir des grands thrillers de Frankenheimer et effacer de nos mémoires ses deux seules incursions dans un domaine qu’il ne maîtrisait pas.
Critique de Virgile Dumez
Prophecy, le monstre est sorti à la fin de l’été 1979, un 22 août. De nombreuses sorties profitent de la rentrée pour apparaître. Il est notable que sur les quinze premiers films de la semaine, neuf sont des nouveautés, dont beaucoup de films francophones. Aurevoir à lundi de Maurice Dugowson pointe en première place. Miou-Miou et Carole Laure se démarquaient ainsi en séduisant 76 000 spectateurs. Derrière, la comédie de Claude Zidi Bête mais disciplinée ne faisait pas le poids avec seulement 45 121 spectateurs dans 24 salles. En troisième position, un autre film français, Le divorcement de Pierre Barouh, trouvait pour sa part 34 000 spectateurs dans 16 cinémas. Le drame conjugal avec Léa Massari et Michel Piccoli ne laissera guère de place dans l’histoire. En fait, aucun vrai succès public illustre cette première semaine de rentrée, après un mois d’août parisien particulièrement creux pour l’exploitation.
C’est dans ce contexte peu propice que le film de John Frankenheimer parvient à se frayer une petite place en quatrième position. Le film attire 30 000 spectateurs dans 23 cinémas et restera cinq semaines à l’affiche dans la capitale.
En intramuros, l’ours mutant concentre ses entrées sur une poignée de salles : le Paramount Opéra avec 4 437 spectateurs, le Publicis Élysée avec 3 152 spectateurs, et le Paramount Montparnasse, où il fait 2 904 spectateurs. Il anime également les écrans du Max Linder, du Paramount Bastille, du Studio Médicis, du Paramount Orléans, du Paramount Gobelins, du Paramount Maillot, du Paramount Montmartre et du Convention Saint-Charles.
Le thriller horrifique reste relativement stable en deuxième semaine avec 22 170 spectateurs et une huitième position honorable, dans 18 cinémas.
En troisième semaine, le film d’épouvante tombe à 9 salles dont quatre à Paris, et attire encore 14 929 spectateurs. Il disparaîtra deux semaines plus tard, après un dernier passage au Paramount Montparnasse et au Paramount Opéra, avec 1 732 spectateurs supplémentaires.
Sur l’ensemble de la France, Prophecy le monstre totalisera plus de 300 000 spectateurs, faisant la tournée des villages et restant programmé sur les plages pour des nocturnes saignantes lors des saisons suivantes.
Il sort dans la foulée en vidéocassette chez CIC Vidéo. Vingt-cinq ans plus tard, ce sera la maison mère Paramount qui lui offrira une sortie DVD. Quelques marchés ont depuis récupéré une copie HD. La France, qui a oublié ce film, peut se consoler d’une mise à disposition sur les plateformes de VOD
Affiche : © Paul Lehr.Tous droits réservés / All rights reserved
Crédits : © 1979 Paramount Pictures Corporation. Tous droits réservés / All rights reserved