Comédie policière racée, Piège mortel passionne par sa science du twist mémorable, ainsi que sa brillante mise en abîme théâtrale. Une œuvre méconnue, à ne pas négliger.
Synopsis : Après avoir essuyé plusieurs échecs retentissants, un auteur dramatique, reçoit un très bon manuscrit d’un de ses anciens élèves, celui-ci entrevoit alors la solution à ses problèmes d’inspiration et financiers. Mais pour bien faire, il faut faire disparaître ce jeune homme trop talentueux…
Critique : Après la grosse déception commerciale que fut Le prince de New York (1981), pourtant porté par d’excellentes critiques, le cinéaste Sidney Lumet se penche sur une nouvelle adaptation d’un succès théâtral, comme au temps béni de Douze hommes en colère (1957), son premier film. Il s’est entiché, comme tout l’intelligentsia d’alors, de la pièce Piège mortel, écrite par Ira Levin (célèbre auteur de Rosemary’s Baby) et qui rencontre un triomphe continu à Broadway entre 1978 et 1982.
Afin d’adapter au mieux cette pièce très populaire, Sidney Lumet a recours à sa coscénariste favorite, à savoir Jay Presson Allen qui a déjà travaillé avec lui sur Le Prince de New York et sera également à la barre du Verdict (1982). Celle-ci ne cherche aucunement à masquer l’aspect théâtral de cette histoire et emballe au contraire ce huis-clos dans une brillante mise en abîme qui réfléchit sur la fine lisière séparant parfois le réel et la fiction.
Malgré l’unité de lieu et donc la présence à l’écran d’un décor unique, le réalisateur Sidney Lumet parvient à faire du cinéma. Ainsi, il exploite au mieux les possibilités offertes par son décor. Il infiltre sa caméra dans les moindres recoins de cet espace et crée même une sensation d’ouverture en utilisant les portes-fenêtres et autres accessoires extérieurs pour varier les points de vue.
Si la réalisation est en tout point remarquable, elle n’en reste pas moins classique. Elle est ici entièrement au service des acteurs qui sont absolument divins. On retrouve ici l’excellent Michael Caine qui déploie toutes les nuances possibles afin de donner une vraie humanité à un personnage pourtant manipulateur et calculateur. Face à lui, Christopher Reeve joue avec son image de beau jeune premier pour interpréter un être plein de duplicité. Enfin, Dyan Cannon se livre à un numéro assez stupéfiant en épouse hystérique, mais non moins dévouée à son assassin d’époux.
Ces éléments servent à merveille une intrigue délicieusement tarabiscotée et somme toute assez perverse. Il est important de signaler qu’un magnifique twist intervient au bout d’une heure de film, remettant ainsi totalement en cause ce qui a été vu auparavant. Par la suite, le film se fait un malin plaisir à surprendre les attentes du spectateur, abusant pour notre bonheur le plus total de retournements savoureux et parfaitement diaboliques.
Sorte de grand huit narratif, Piège mortel se savoure donc comme un divertissement de haute volée, porté par des dialogues cyniques à souhait. Certes, on se situe à un moindre niveau que le chef-d’œuvre de Joseph Mankiewicz intitulé Le limier (1972), déjà avec Michael Caine, mais l’ensemble demeure suffisamment pertinent pour en faire un petit délice.
Bizarrement, lors de sa sortie en salles, le long-métrage a connu un petit succès d’estime aux Etats-Unis, tandis que la France semble avoir été hermétique à cette proposition de comédie policière ludique. Effectivement, Piège mortel n’a attiré que 73 561 spectateurs sur l’ensemble de l’Hexagone. Certes, c’est légèrement plus que Equus (1977), mais cela reste une énorme déception pour un cinéaste qui savait rallier d’ordinaire le public français. Il ne faut donc surtout pas se fier à ce résultat très décevant et découvrir ce petit bijou méconnu, aussi jubilatoire que ludique.
Critique de Virgile Dumez