La trilogie de la mort de Nacho Cerdà est une réflexion morbide aux confins du supportable dont le caractère culte n’est jamais usurpé. Pour spectateurs avertis, avisés et aventureux exclusivement.
The awakening, 1990, 7mn
Un jeune lycéen s’endort en classe. A son réveil, ses camarades et son professeur sont immobiles, le silence est total. Et d’étranges signes sont inscrits au tableau…
Aftermath, 1994, 23mn
Dans une morgue, un docteur cède à ses tentations les plus obscènes en violant le cadavre d’une jeune femme récemment morte dans un accident de voiture.
Genesis, 1998, 26mn
Un sculpteur perd brutalement la femme de sa vie. Incapable de surmonter le chagrin causé par sa mort, il sculpte sans relâche la réplique exacte de sa bien-aimée. Sa douleur intérieure est telle qu’il réussit à donner vie à sa sculpture, brisant ainsi les barrières du temps et de l’espace. Mais il paiera cette bouleversante résurrection de sa vie, se changeant lui-même petit à petit en… pierre.
Critique : Nacho Cerdà est un cinéaste au talent inné et à l’intransigeance saisissante qui s’est forgé une réputation de maître du macabre, l’un des seuls à sévir ouvertement dans le domaine, grâce à deux courts métrages culte d’une vingtaine de minutes, les incroyables Aftermath et Genesis. Du tout bon que beaucoup de curieux rêvaient de voir sans en avoir la possibilité, faute d’une distribution vidéo sur notre territoire. La sortie du DVD de Wild Side en 2007 a permis de corriger cette frustration et de tremper les spectateurs dans les noirceurs trempées de la pellicule de Cerdà à travers ses trois ténébreux courts métrages, véritables prémices à son premier long tardif, Abandonnée. Ces valeurs sûres de l’Etrange Festival et de Sitges, sont rassemblées ici sous l’intitulé emblématique et diagnostique de La trilogie de la mort. Tout un programme pour un public averti exclusivement.
On passera vite sur The Awakening, court métrage estudiantin de sept minutes que l’étudiant catalan a tourné aux USA avec une économie de moyens qui se ressent à chaque instant. Néanmoins, ce court en noir et blanc sur la découverte par un adolescent d’un monde figé où il n’est plus que le seul en vie (enfin, c’est ce qu’il croit au début) évoque déjà l’attrait irrésistible du jeune Ignacio Cerdà pour les choses de l’au-delà. Le ton très art et essai américain est aussi celui de Romero dans Martin ou de Douglas Buck dans la trilogie de Family Portraits ; il cristallise le réalisme underground macabre. Cette œuvre ne préfigure pas l’outrance d’Aftermath que l’Espagnol réalisera quatre ans plus tard en 1994, dans son pays natal, car aucun producteur américain n’osait investir un cent dans un pareil court.
Aftermath : Abject, immoral, répugnant
Abject, immoral, répugnant. Tel pourrait être le verdict de 90 % des spectateurs normalement constitués. On ne le leur conseillera pas. Après tout Aftermath est l’autopsie sans concession d’une déviance, la nécrophilie, disséquée par la caméra obscène de Cerdà qui s’insinue dans les viscères avec une précision chirurgicale absolument dérangeante. Du gore clinique qui sonde une perversion violente et agressive, cela ne se conseille pas. A priori. Et pourtant, en sondant l’aspect le plus pathétique de l’âme humaine, Cerdà fait preuve d’un génie signifiant, nous interrogeant sur notre rapport complexe avec la mort. Il nous renvoie à la fascination qu’elle exerce sur notre inconscient, notamment à travers l’art, et sur notre rejet très occidental de sa représentation. Une peur ancestrale qui trouve ses fondements dans notre enfance, comme si en refusant d’admettre sa réalité, on pouvait échapper aux serres de notre destinée mortelle ou comme si du moins on pouvait repousser l’inéluctabilité du trépas. Une réflexion excessive, suffisamment réfléchie pour ne pas être une tentative gratuite d’incommoder le spectateur.
Fin de la Trilogie de la mort avec la… genèse, Genesis !
Le troisième court de la trilogie, une véritable bête de festivals qui fut nommé aux Goya, Genesis, est formellement le plus réussi. Une nature morte en CinémaScope renvoyant, comme Abandonnée, au meilleur du cinéma soviétique, avec un sens organique du détail qui captive immédiatement le regard. Moins dérangeant que le précédent car moins excessif et surtout moins sanglant, ce requiem est néanmoins caractérisé par la même obsession pour les choses de la mort. Une fixation pesante qui réfute toute tentative d’humour, prenant en otage son public contraint une fois de plus de s’abstraire de la lumière et du divertissement, pour se fixer sur sa propre mortalité.
Genesis dépeint un amour impossible, celui d’un artiste qui tente de recréer l’image de sa défunte épouse à travers une statue qui va progressivement prendre chair et se nourrir du sang de son Pygmalion. Une véritable tragédie romantique à la noirceur totalement désespérée où le décès de l’un marque le retour à la vie de l’autre, annihilant la possibilité de toute histoire commune. Un cycle de vie et de mort intrinsèquement dépressif, qui sonne le glas des bluettes traditionnelles et ferait passer Roméo et Juliette de Shakespeare pour un parangon d’optimisme.