Portrait sans concession de l’Angleterre libérale de Margaret Thatcher, My Beautiful Laundrette est un témoignage passionnant sur une époque, ainsi qu’une œuvre cinématographique enthousiasmante à plus d’un titre.
Synopsis : Omar, jeune pakistanais de la banlieue Sud de Londres, prend la gérance d’une vieille laverie automatique appartenant à son oncle. Il est aidé de Johnny, qui devient son amant. Quand son cousin Salim blesse un membre de l’ancien gang de Johnny, une bagarre éclate…
Un petit téléfilm qui deviendra grand…
Critique : My Beautiful Laundrette est assurément un film très important pour le cinéma britannique des années 80, à plusieurs titres d’ailleurs. Pour mémoire, la production britannique a connu une chute spectaculaire à la fin des années 70 et au début des années 80, condamnant la plupart des studios traditionnels à la fermeture et poussant les jeunes auteurs émergés à la fin des années 60 comme Ken Loach, Mike Leigh et Stephen Frears à travailler pour la télévision. D’autres comme Alan Parker, Ridley Scott ou encore Adrian Lyne ont choisi la voie de la publicité, puis l’exil hollywoodien.
Difficile dans ces conditions de faire émerger des talents. Toutefois, en 1983, une nouvelle société de production nommée Working Title Films apparaît et commence par produire des spots publicitaires. A l’aide de Channel Four, ils se lancent en 1985 dans la production d’un téléfilm qui exploite un script de l’auteur Hanif Kureishi intitulé My Beautiful Laundrette. Pour mettre en image ce scénario qui évoque la vie quotidienne de la communauté pakistanaise dans le Londres des années 80, les producteurs proposent le réalisateur Stephen Frears qui a déjà plus d’une quinzaine de téléfilms à son actif. Pour le rôle de Johnny, on envisage tout d’abord Gary Oldman, mais après son départ du projet, c’est Daniel Day-Lewis, encore inconnu, qui décroche le jackpot. La même année, il tourne dans Chambre avec vue (Ivory, 1985) dans un emploi radicalement différent, ce qui sera ensuite sa marque de fabrique.
Sorti en salles et distingué par une nomination à l’Oscar
Après un tournage assez long et fastidieux, My Beautiful Laundrette est jugé suffisamment bon pour être finalement projeté dans quelques salles londoniennes et dans des festivals. Le film est alors acheté pour être diffusé sur de nombreux marchés, dont la France où le film a glané 238 042 curieux sur tout le territoire. Le long-métrage a également reçu une nomination aux Oscars, prouvant ainsi que le cinéma britannique n’était pas définitivement mort. Certes, ce n’est pas encore le temps de la renaissance des années 90 – justement porté par la société Working Title – mais il s’agit d’un frémissement. D’ailleurs, le film peut être considéré comme l’acte de naissance véritable de plusieurs artistes, à savoir l’écrivain Hanif Kureishi, le réalisateur Stephen Frears et l’acteur Daniel Day-Lewis.
Que reste-t-il aujourd’hui de ce film qui osait bousculer les spectateurs britanniques dans leurs convictions les plus rétrogrades ? Il s’agit assurément d’un portrait très juste de l’Angleterre ruinée par l’action de Margaret Thatcher. Le scénariste n’hésite pas à se servir des arguments de la Première ministre pour construire son intrigue. Thatcher vantait par exemple les mérites de la libre entreprise et du libéralisme sauvage, alors Kureishi pousse ses personnages à se saisir de leur destin en investissant dans une laverie automatique de luxe au cœur d’un quartier populaire. Les deux jeunes ambitieux – homosexuels de surcroît – deviennent alors les symboles de cette Angleterre ultra-libérale qui veut se débarrasser des fainéants (fonctionnaires et chômeurs) pour mettre en avant la valeur travail (les investisseurs, petits et grands patrons).
Critique cinglante de l’Angleterre ultra-libérale de Thatcher
Sauf que l’auteur démontre de manière brillante que cette politique ne fonctionne aucunement si l’on part du bas de l’échelle sociale. Le jeune Omar est un loup aux dents longues – pas nécessairement très sympathique d’ailleurs dans son obsession de réussite – mais pour arriver, il doit se servir de méthodes douteuses (il arnaque sa famille en revendant de la drogue, se sert de son petit ami en exploitant ses talents de bricoleur etc…). Issu d’une communauté repliée sur elle-même, Omar doit doublement lutter pour arriver : il doit s’imposer face au racisme des Britanniques, mais en tant qu’homosexuel, il doit aussi cacher son orientation à sa propre communauté, loin d’être tolérante à ce niveau.
Hanif Kureishi en profite donc pour régler ses comptes avec un certain empire britannique qui n’a pas digéré son éviction de territoires comme l’Inde ou le Pakistan. Il montre le racisme des Blancs, mais aussi l’intolérance de nombreux Pakistanais. S’il n’accuse personne en particulier, on le sent virulent vis-à-vis du désastre social en cours sous le mandat de la dame de fer Margaret Thatcher.
Une réalisation inspirée par les maîtres du film noir américain
En ce qui concerne la réalisation, Stephen Frears fait preuve d’un talent évident pour la direction d’acteurs, mais il n’en oublie jamais de faire du cinéma en proposant quelques superbes plans à la grue qui montrent son amour d’un certain cinéma hollywoodien des années 40-50. Ainsi, My Beautiful Laundrette peut parfois se lire comme un hommage aux films noirs de cette époque, transposé au cœur du cinéma social britannique. Ce mélange audacieux fonctionne plutôt bien ici et même si le film souffre d’un manque de conclusion satisfaisante, il n’en demeure pas moins une œuvre emblématique d’une époque.
Les sorties de la semaine du 3 septembre 1986
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© 1985 Channel Four / Affiche : © Guy Peellaert. Tous droits réservés.