Memoria est une œuvre majeure du réalisateur thaïlandais. Ce trip contemplatif, s’il n’échappe pas à l’hermétisme, exerce un réel pouvoir de fascination.
Synopsis : Une horticultrice écossaise spécialisée dans les orchidées rend visite à sa sœur malade, à Bogota en Colombie. Au cours de son séjour, elle se lie d’amitié avec une archéologue française, en charge du suivi d’un projet de construction, et avec un jeune musicien local. Chaque nuit, elle est dérangée par des détonations de plus en plus fortes qui l’empêchent de dormir…
Memoria, un bel objet contemplatif
Critique : Produit par Tilda Swinton, Memoria est le premier film d’Apichatpong Weerasethakul à avoir une réelle dimension internationale (financement, lieu de tournage, équipe artistique et technique, casting). Le cinéaste n’en perd pas sa griffe pour autant et Memoria est aussi beau que Blissfully Yours (Prix Un Certain Regard 2002), Tropical Malady (Prix du Jury Cannes 2004) ou Oncle Boonmee (Celui qui se souvient de ses vies antérieures), Palme d’or en 2010. Le film est basé sur une expérience de jeunesse du réalisateur, dont il précise la teneur dans le dossier de presse : « J’ai été surpris par le bruit d’une explosion. C’était celui d’une bombe, à l’aube, qui ne venait pas d’ailleurs mais de l’intérieur de ma tête. J’ai appris plus tard que cela s’appelait le syndrome de la tête qui explose. C’est comme si quelqu’un faisait claquer un élastique à l’intérieur de votre crâne. Mon crâne semble être fait de métal. Ce grand bruit se répercute dans le cerveau, mais au lieu de vous réveiller complètement, il vous met dans un état semi-conscient d’écoute et d’anticipation. Après plusieurs matins, l’attaque s’est transformée en un étrange plaisir ».
Le personnage central de Jessica Holland, joué par Tilda Swinton, est donc quelque peu un double du réalisateur. Si l’action est transposée en Colombie, c’est que Weerasethakul a toujours été fasciné par des romans inspirés de récits occidentaux sur la découverte de l’Amazonie. Il a lui-même voyagé dans ce pays à plusieurs reprises. Et c’est le dynamitage d’une montagne lors de la construction d’un tunnel qui lui a fait penser au bruit (le BANG) entendu par Jessica. De ces éléments personnels, le réalisateur tire un film dont la thématique rejoint celle de ses précédentes œuvres.
Celle qui se souvient de ses vies antérieures
Weerasethakul explore en effet les mystères du sommeil et du rêve, les interactions entre les expériences sensorielles et la réalité, mais aussi entre notre époque et les temps passés. Et sa mise en scène privilégie toujours l’épure et le style contemplatif, par de nombreux plans-séquences. On notera aussi l’importance du travail sonore et pas uniquement en raison du bruit dont il est question. La dernière partie au cours de laquelle Jessica rencontre un agriculteur vivant en ermite dans la montagne synthétise tous ces éléments thématiques et stylistiques, et hantera le spectateur bien après la sortie de la projection.
Les acteurs (pour la première fois professionnels) s’intègrent à merveille au dispositif du cinéaste. Outre Tilda Swinton, il faut citer la Française Jeanne Balibar, les Colombiens Elkin Díaz et Juan Pablo Urrego, et l’Hispano-mexicain Daniel Giménez Cacho. D’aucuns trouveront Memoria ésotérique et ennuyeux, sans doute les mêmes qui n’avaient pas adhéré à ses films antérieurs. Nous ne partageons pas ce ressenti et ne pouvons que recommander ce trip cinématographique qui confirme l’importance d’un maître du septième art.
Critique de Gérard Crespo