Le Pulp Fiction du cinéma sud-coréen. Lucky Strike est un film choral noir, drôle et grinçant, porté par une pléiade de talents jubilatoires.
Synopsis : Un corps retrouvé sur une plage, un employé de sauna, un douanier peu scrupuleux, un prêteur sur gage et une hôtesse de bar qui n’auraient jamais dû se croiser. Mais le sort en a décidé autrement en plaçant sur leur route un sac rempli de billets, qui bouleversera leur destin. Arnaques, trahisons et meurtres : tous les coups sont permis pour qui rêve de nouveaux départs…
Lucky Strike : une constellation d’intrigues qui se rejoignent dans la violence
Critique : Le thriller vénéneux sud-coréen est de retour. Dans la lignée des Mademoiselle, The Housemaid et L’ivresse de l’argent, et plus récemment Parasite, Lucky Strike démontre une fois de plus le talent des cinéastes locaux quand il s’agit de manipuler protagonistes et spectateurs dans un délirant stratagème de rebondissements malins nés de la conception du film en tant que constellation.
Très proche dans l’esprit de la comédie noire ultra-violente, choral et savoureusement déstructurée dans sa narration de Pulp Fiction, la première fiction de KIM Yong-hoon emprunte effectivement beaucoup au classique palmé de Quentin Tarantino. Il éclate la construction du récit et nous donne le plaisir actif de rassembler les pièces du puzzle pour établir un lien entre chaque personnage et ainsi donner du sens à cette intrigue crapuleuse autour de « l’ivresse de l’argent ». Ce n’est pas aisé à faire pendant les quarante premières minutes qui pourront passer pour un peu longues dans la mise en place des différents destins. Mais une fois passé les intrigues placées sur des bases solides, la jubilation l’emporte.
L’affaire est dans le sac
Dans Lucky Strike, l’argent est sale et vicieux dans ce conte des âmes perdues. Pas un personnage qui ne soit pas obsédé par son odeur, l’idée d’en posséder toujours plus pour les uns ou d’en avoir pour survivre pour les autres… S’il lave les dettes, il vicie le quotidien, obscurcit les caractères, corrompt les plus doux agneaux. Autour d’un sac Vuitton rempli de billets abandonné dans un sauna où les classes sociales se croisent, c’est bien le macrocosme d’une Corée du Sud exsangue qui est brossé : les riches clients, dans l’opulence ostentatoire, arpentent comme des coqs « à poil » les couloirs d’un lieu de domination, face à l’employé miséreux qui doit éponger les dettes, subir une vieille harpie dominante en guise de mère (jubilatoire YOUN Yuh-jung) et payer l’université de sa fille pour qu’elle puisse avoir l’avenir dont son épouse – femme de ménage qui subit -, et lui n’ont jamais pu jouir.
L’argent fait jouir effectivement, dans la souffrance de l’autre. Il est un outil sadique qui achète. Le mari ivrogne frappe son épouse qui ne peut fuir de par les liens financiers qui l’assujettissent à son bourreau. Les clients des prostituées achètent la viande de leur choix dans des clubs qui puent la défonce, la débauche et le blé fauché illégalement. L’usurier aime prêter à ceux qu’il pourra torturer car il sait qu’avant le remboursement, la chair, cannibalisée, en sera autrement meilleure.
La femme est un homme comme les autres
Que l’on ne prenne pas Lucky Strike, film sur l’illusion de la chance, pour une œuvre #MeToo compatible. La femme est homme dans son humanité et donc aussi vile et vénale que son alter ego à cinq membres peut l’être. Les personnages féminins sont aussi, voire plus, cruels que les autres et cela rend d’autant plus l’approche surprenante et gourmande.
Bref, vous l’aurez compris, le premier long métrage de KIM Yong-hoon est une comédie grinçante et douloureuse qui étripe la construction même de la société sud-coréenne de façon satirique et sardonique, avec les ficelles excellentes du thriller vénéneux coréen occidentalisé. Gare à l’orgasme, ce thriller misanthrope frappe fort.