Les deux réalisateurs d’A l’intérieur, Alexandre Bustillo et Julien Maury, changent de style et s’égarent sur les chemins poético-brumeux de Bretagne. Le résultat est Livide, conte horrifique raté, victime d’un scénario abscons. Flop total au box-office, il s’agira de l’ultime production du distributeur français spécialisé dans le cinéma de genre, La Fabrique 2, ex La Fabrique de Films.
Synopsis : En Bretagne, nuit d’Halloween. La jeune Lucie Clavel et ses deux acolytes qui s’ennuient à mourir dans leur petite ville de Province décident sur un coup de tête de cambrioler la maison d’une vieille femme plongée dans le coma. La légende veut que cette maison renferme un trésor… Après avoir traversé la lande de nuit, le trio arrive chez Deborah Jessel et pénètre dans sa maison plongée dans les ténèbres. Ils ne tarderont pas à découvrir un “trésor” surprenant, ainsi que la véritable identité de Déborah Jessel …
Quatre ans après le gore et sulfureux A l’intérieur…
Critique : Oublions l’outrance et le gore politiquement incorrect d’A l’intérieur, dont on parla beaucoup en 2007. Le film appelé à devenir culte osait faire du corps d’une femme enceinte le lieu convoité d’une dingue – Béatrice Dalle – armée d’une paire de ciseaux, bien décidée à s’accaparer de la progéniture de sa victime, en lui réservant un accouchement forcé sans péridurale. Fort et nauséeux, le classique impressionne Hollywood et notamment les Weinstein qui proposent au tandem de cinéastes issus de la team Mad Movies, de réaliser un remake d’Hellraiser, qu’ils déclinent, puis Halloween 2 qu’ils vont accepter avant de se faire virer de la production pour faire de la place à Rob Zombie. Cette immersion dans l’univers impitoyable des Américains leur coûte près de trois ans et les contraint à attendre 2011 pour revenir avec un hommage déguisé à leur cinéaste de chevet, Dario Argento, et en particulier à son Suspiria, en investissant un conte maléfique sur fond de danse.
Un film au ton français pour deux auteurs à la carrière avortée aux USA
Pour Livide, Alexandre Bustillo et Julien Maury changent de style, et s’orientent vers un fantastique français volontairement désuet, aux habits ténébreux et gothiques. Dans un cadre breton qu’ils saisissent dans ce qu’il a de plus poétique et mélancolique, mais aussi de plus cliché (on pense énormément au film méconnu Si j’avais 1000 ans), les deux compères ciblent un imaginaire d’antan où la grande demeure isolée, aux structures alambiquées, dissimule bien des sombres secrets.
L’idée est belle, les plans aussi, très souvent, mais malheureusement le manque de rigueur dans l’écriture et surtout de moyens pour mettre en œuvre les fantasmes des deux cinéastes, tend à refroidir les ardeurs. La série B artisanale coûte moins de trois millions d’euros à un moment où aucune grosse boîte française ne veut s’impliquer dans pareil genre. D’ailleurs, A l’intérieur n’avait lui-même pas été le succès escompté en France, puisqu’il ne dépassa pas les 80 000 spectateurs alors que les critiques l’avaient salué.
Une production de la défunte La Fabrique 2
Au moins, lovés au plus bas de l’échelle de production, les deux cinéastes qui aiment dire faire la paire dans une complémentarité artistique totale, peuvent compter sur les producteurs et distributeurs Vérane Frédiani et Franck Ribière, qui avaient lancé A l’intérieur via La Fabrique de films. Les deux producteurs ont essayé de relancer leur société sous un nouveau nom, La Fabrique 2, en raison de flops en série, notamment Humains (2009) de Jacques-Olivier Molon et Pierre-Olivier Thevenin qui les avaient particulièrement impactés. La Fabrique 2 était surtout, initialement, le nom de leur toute fraîche boîte de production qui devient pour l’occasion distributeur de productions horrifiques françaises comme La meute et Les nuits rouges du bourreau de Jade. A eux deux, ces films ne feront même pas 30 000 entrées France.
Une histoire absconse qui ne passe pas
Comme pour A l’intérieur, dont le projet était né d’une phrase d’accroche gore qu’ils avaient trouvée avant d’écrire le scénario, Bustillo et Maury partent de leur script pour produire un vrai film d’auteur. Mais cette écriture va devenir un sacré handicap, puisque jamais le résultat ne parle. L’idée narrative peut se réduire à quelques lignes.
Une apprentie aide-soignante à domicile revient une nuit avec deux de ses amis pour trouver un trésor inestimable dans la maison isolée d’une patiente, maintenue dans le coma depuis des décennies. Elle va y découvrir un terrifiant secret au prix de quelques victimes…
A priori, c’est clair, limpide, sauf que dès le début, on n’arrive pas à y croire.
Tout d’abord, la présentation des personnages est réduite au minimum, c’est-à-dire à des motivations vite esquissées. Le refus de psychologie est gênant, même dans ce type de productions, car cela va nous priver de toute empathie à l’égards des victimes dans la seconde partie. La seule tentative de créer un arrière-plan psychologique est loupée : le personnage décédé de la mère de l’héroïne, interprétée brièvement par Béatrice Dalle, intervient deux fois en flash-back, sans raison apparente. Cela nous déboussole plus que cela nous impressionne (ce sont des scènes à effets).
Le script peu ragoûtant, peut-être victime de coupes dans le budget, précipite les choses alors qu’il aurait fallu prendre davantage de temps et ainsi répéter les visites chez l’étrange et centenaire Déborah Jessel (la malade plongée dans le coma artificiel) pour essayer de tisser un lien entre la jeune femme et la maison linceul. A la place, on se retrouve face à des raccourcis aberrants (pourquoi la jeune femme raconte-t-elle l’histoire du trésor à son petit copain opportuniste alors qu’elle, la vertueuse, sait qu’il va vouloir rentrer par effraction pour se l’approprier ?), qui deviennent mêmes difficiles à appréhender une fois dans la demeure, lorsque les évènements se déchaînent. A ce moment-là, on reste partagés entre le plaisir du décor très soigné, celui d’un fantastique pastoral ancestral qui rappelle des séries B comme The Unnamable ou Pumkinhead, et l’incompréhension face à un script qui part en roue libre. Le passé de la maison nous est relaté par des visions dont on ignore l’origine et comme la fin est illisible et multiplie les plans surréalistes sans nous parer des clés pour y trouver du sens, l’ensemble reste totalement abscons.
Livide rate tout, surtout sa sortie en salle
Au final, Livide apparaît comme un film de bonnes intentions. On avait envie de l’aimer, mais tout brouillon qu’il est, il déçoit, pataugeant dans une direction d’acteurs très fragile. Des jeunes, Chloé Coulloud qui sort de chez Carine Tardieu et Jérémy Kapone qui aurait dû capitaliser sur le succès de LOL, mais aussi le quasi débutant Félix Moati, juqu’au casting mature et peu fin (Catherine Jacob), on ne peut compter sur le casting pour apporter de la crédibilité à un ensemble chaotique.
Eventuellement, on conseillera Livide aux fans hardcore d’errances brumeuses en paysages bretons. Jean Rollin, décédé quelques mois avant le tournage, en 2010, aurait beaucoup apprécié la conclusion qui s’érige presque en hommage au maître, grand amateur de duo féminin le long de falaises surplombant la campagne… Mais comme pour le cinéma de Jean Rollin, la distribution en salle fut chiche (17 écrans France) et invisible aux yeux des spectateurs. Le film de genre français entre en 40e place la semaine du 7 décembre 2011, avec 4 927 entrées, et dégringole à 174 entrées la semaine suivante. Il n’est alors exposé que dans 4 cinémas.
Livide sera son propre tombeau.
Sorties de la semaine du 7 décembre 2011
Photo : Synchro X © La fabrique 2
Biographies +
Julien Maury Alexandre Bustillo, Béatrice Dalle, Catherine Jacob, Félix Moati, Chloé Coulloud, Jérémy Kapone
Le test DVD
Après l’outrance et le gore insidieux d’A l’intérieur, Alexandre Bustillo et Julien Maury de Mad Movies ont de nouveau collaboré sur un long métrage horrifique que peu ont eu la possibilité de découvrir au cinéma. Sortie en catimini une petite semaine de décembre, n’attire même pas 6.000 passants en salle… c’est la cata. Les critiques ressortent peu convaincus par le changement de style, vers un fantastique français désuet, peu enclin à la facilité de propos, dont les ambitions rivalisaient de maladresses pour mettre sur pied un univers essentiellement gothique et macabre.
Suppléments : 2.5 / 5
Désormais dans les mains de M6 Vidéo, Livide se pare de quelques interviews intéressantes (entre 5 et 10mn chacune). Les deux réals reviennent sur leur cinéphilie horrifique et ses origines. Catherine Jacob, d’un naturel désabusé, semble satisfaite d’une expérience qui l’éloigne de la comédie alimentaire. La danseuse Marie-Claude Pietragalla est enchantée et les jeunes comédiens Félix Moati et Jérémy Kapone expriment la même satisfaction avec leur langage jeune au bord de la caricature.
Un commentaire audio vient enrichir la partie suppléments avec quelques beaux croquis empreints de poésie fantastique. Par contre, pas de bande-annonce.
Image : 3 /5
D’une définition correcte, elle ne fait pas abstraction du grain d’origine. Elle offre un confort de visionnage indéniable, ne se risquant pas à être plus sombre qu’il ne le faut pour une œuvre déjà ténébreuse.
Son : 3 / 5
Le titre est accompagné d’un son de bonne facture, trempé dans un 5.1 DD qui donne une certaine autonomie aux images qui s’animent sur les 5 enceintes avec justesse et suffisamment d’ampleur pour provoquer quelques moments de frousse.