L’homme du président est un efficace film dossier qui revient en détail sur l’assassinat du dictateur sud-coréen Park en 1979. Pour amateurs d’Histoire et de coulisses politiques.
Synopsis : Dans les années 1970, la Corée est sous la houlette du président Park, qui contrôle d’une main de fer la KCIA, l’agence de renseignements coréens. KIM Gyu-Pyeong, un commandant prometteur de la KCIA, voit sa vie être bouleversée lorsque l’ancien directeur de l’agence refait surface, avouant qu’il connaît toutes les affaires louches dans lesquelles a trempé le gouvernement. Alors que la tension monte, chaque parti tente de dissimuler son jeu, avant que n’éclate au grand jour la vérité…
Un sujet historique sensible en Corée du Sud
Critique : Avec L’homme du président (2020), le réalisateur sud-coréen Woo Min-ho dont aucune œuvre n’a jusqu’alors franchi nos frontières s’attaque à une figure très controversée de son pays, à savoir le président Park Chung-hee. Afin de mieux comprendre les enjeux du long-métrage, nous devons rappeler que celui-ci a dirigé la Corée du Sud d’une poigne de fer depuis le coup d’État du mois de mai 1961 jusqu’à son assassinat en 1979. Instituant d’abord une démocratie autoritaire, il a transformé son régime en dictature à l’annonce de sa présidence à vie en 1972.
Parmi les éléments qui démontrent le caractère dictatorial du régime, on compte notamment l’arrestation, la torture, puis la purge des opposants, notamment communistes – on craint notamment une propagation de cette idéologie à partir de la Corée du Nord. Pour cela, le dictateur disposait d’un service de renseignement très élaboré appelé KCIA (Korea Central Intelligence Agency). Bien entendu, en plein contexte de guerre froide, le président Park Chung-hee a largement été soutenu par les différents gouvernements américains et la CIA. Il s’agissait de conserver dans la région un allié de poids face à la Corée du Nord et à la République populaire de Chine. Peu importe que les droits de l’homme ne soient pas franchement respectés.
L’homme du président est un film dossier souvent captivant
Toutefois, certains Coréens pointent en parallèle le développement économique formidable de la Corée du Sud durant cette période de modernisation à marche forcée et respectent donc toujours l’ancien dictateur. S’attaquer à son assassinat est donc un sujet particulièrement délicat pour le public sud-coréen.
Afin de ménager les subtilités, Woo Min-ho a changé la plupart des noms des protagonistes, mais a souhaité décrire au plus près les événements qui ont mené le chef de la KCIA à assassiner le dictateur lors d’un dîner. Construit à la manière des grands films dossiers de Francesco Rosi ou encore Les hommes du président (Pakula, 1976) à propos du Watergate, L’homme du président est donc un thriller politique à réserver aux amoureux d’Histoire. Il faut savourer parcourir les coulisses des grands événements, pénétrer dans les alcôves où se joue le destin des peuples pour apprécier le spectacle, assez lent et bavard.
Un film complexe, mais suffisamment clair dans ses enjeux narratifs
Toutefois, histoire de ne pas écraser le spectateur, le cinéaste aère son film avec quelques scènes de suspense plus tendues. De même, il ne s’adresse pas qu’aux spectateurs coréens et donne suffisamment d’informations sur le contexte historique pour qu’un public international puisse comprendre tous les enjeux de la situation évoquée. Certes, il faut mieux avoir quelques bases solides en Histoire pour vraiment profiter des nuances du scénario, mais cela ne constitue pas un frein majeur à la compréhension globale de l’intrigue.
Nous sommes invités à suivre le parcours intérieur qui va mener le fidèle directeur de la KCIA – superbe interprétation de Lee Byung-Hun, tout en intériorité – à assassiner celui qu’il a servi durant dix-huit ans. Le scénario nous laisse d’ailleurs orphelins quant aux motivations principales du personnage qui reste un mystère. A-t-il fait cela pour sauver sa peau ? Envisageait-il de prendre réellement le pouvoir ? Est-ce vraiment un geste de désespoir par rapport à ses désillusions quant à la tournure prise par le régime ? Nous n’en saurons rien tant le personnage reste mutique.
Un crescendo bien mené
Plutôt classique dans sa réalisation, Woo Min-ho parvient toutefois à rendre passionnantes les séquences de palabres autour de tables de réunion. Il se fait davantage virtuose lors de la fameuse séquence du coup d’État final où sa caméra évolue avec grâce dans un espace géographique parfaitement maîtrisé. Il est aidé en cela par une musique menaçante de Jo Yeong-wook qui reprend à son compte le style tout en boucles synthétiques d’un certain Hans Zimmer. Allant crescendo, L’homme du président est donc une très bonne surprise dans le domaine du thriller politique à portée historique.
Notons d’ailleurs que l’assassinat du dictateur n’a pas permis pour autant de développer la démocratie en Corée du Sud puisque Chun Doo-hwan a réalisé un nouveau coup d’État militaire dès le mois de décembre 1979, instaurant un pouvoir encore plus répressif durant les années 80. L’homme du président a donc le mérite de nous rappeler que si la Corée du Nord fut depuis le début une dictature, l’histoire de la partie sud est loin d’avoir été un long fleuve tranquille.
A découvrir en VOD ou sur support physique
Prévu initialement pour être diffusé lors du festival du cinéma sud-coréen à Paris, L’homme du président a finalement été privé de diffusion et de sortie pour cause de Covid-19. Malgré son succès sud-coréen et des échos favorables, le long-métrage a été proposé à la VOD et en support physique dès le mois de novembre 2020. Les amateurs d’Histoire et de politique ne doivent pas s’en priver.
Critique de Virgile Dumez