Retour du duo Abel & Gordon, L’Étoile filante est un film noir décalé qui émarge du côté du cinéma de Kaurismaki, tout en y ajoutant une touche burlesque proche du cinéma muet des origines. Drôle et original, à défaut d’être pleinement abouti.
Synopsis : Bruxelles, aujourd’hui. Boris, barman, vit dans la clandestinité depuis 35 ans, à la suite de son implication dans un attentat qui a mal tourné. Son passé refait surface quand une victime le retrouve et veut se venger. L’apparition de Dom, homme dépressif qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Boris, fournit à l’ex- activiste le moyen parfait pour échapper à la vengeance. Boris et sa compagne, Kayoko, épaulés par leur portier, Tim, tissent une toile funeste autour de Dom. Ils ignorent l’existence de son ex-femme, Fiona, détective privée…
Retour aux affaires d’un duo toujours drôle et décalé
Critique : Cela fait maintenant plus de quarante ans que les duettistes Dominique Abel et Fiona Gordon ont fondé leur compagnie de production Courage mon amour, avec laquelle ils ont financé leurs nombreux spectacles sur scène, ainsi que leurs longs métrages. En France, on les a surtout découverts au milieu des années 2000 avec trois comédies burlesques et poétiques qui ont écumé les salles d’art et essai : L’iceberg (2005), Rumba (2008) et La fée (2011). Tous trois furent coréalisés par Bruno Romy qui s’éloigne de leur univers pour arpenter les terres du documentaire dans la décennie suivante.
Depuis cette sainte trinité, le duo Abel & Gordon semble avoir plus de difficultés à monter leurs projets cinématographiques et se sont surtout concentrés sur la scène où ils rencontrent encore de beaux succès. En quinze ans, le combo n’a livré que deux longs métrages, dont Paris pieds nus (2016) et L’Étoile filante (2023) qui a été proposé sur quelques écrans français fin janvier 2024. Si les cinéphiles paraissent avoir quelque peu oublié leurs glorieux essais burlesques des années 2000, les duettistes n’ont pourtant guère changé dans leur style et leurs préoccupations.
Comme un air d’Aki Kaurismäki
Avec L’Étoile filante, on peut tout de même signaler une évolution majeure, à savoir une attention plus importante accordée au scénario. Contrairement à leurs premiers essais qui partaient souvent en vrille sans filet de sécurité, leur dernier effort apparaît étonnement structuré. Sans doute est-ce parce qu’ils abordent un genre qui ne supporte pas l’approximation, à savoir le film noir. Les auteurs ont donc été contraints de livrer une intrigue construite de manière relativement logique, même si cela n’exclut pas un recours fréquent aux hasards absurdes. Globalement plus sombre dans son atmosphère, y compris sur le plan visuel par la photographie très contrastée de Pascale Marin, L’Étoile filante ressemble finalement beaucoup aux divagations pessimistes d’un Aki Kaurismäki.
Les lieux visités – des quais un peu miteux, un bar un brin kitsch – renvoient naturellement au cinéma du maître finlandais, ce qui est encore renforcé par le style du duo belge fait de cadrages rigoureux dans lesquels les personnages évoluent librement. Au carrefour de toutes leurs influences habituelles, les auteurs citent donc Kaurismäki, mais aussi leurs maîtres burlesques que sont Buster Keaton ou encore Jacques Tati. Enfin, dans la foulée, on peut aussi évoquer le cinéma surréaliste d’Otar Iosseliani.
Un pastiche de film noir savamment chorégraphié
Autant de références prestigieuses auxquelles s’ajoutent les contributions de chaque comédien. Effectivement, les duettistes retrouvent leur troupe de fidèles dont le clown Philippe Martz (du duo clownesque BP Zoom) et bien entendu Bruno Romy, non crédité à la réalisation. Mais l’ajout le plus remarquable vient de l’apport de la danseuse d’origine japonaise Kaori Ito. Celle-ci se révèle très drôle dans un rôle physique où ses interactions avec les autres protagonistes passent beaucoup par la chorégraphie.
Comme toujours chez Abel & Gordon, ce sont les gestes et les attitudes corporelles qui comptent plus que les dialogues. Ici, on plonge de plain-pied dans une tradition issue du burlesque et du cinéma muet. L’ensemble s’avère donc souvent percutant, toujours étonnant et parfois même émouvant.
Toutefois, il convient de signaler que la dimension poétique généralement attachée à leur cinéma est moins présente dans cette Étoile filante qui creuse un sillon nettement plus sombre. On y parle tout de même de terrorisme, de vengeance et de suicide. Certes, le ton est volontairement décalé et humoristique, mais le sous-texte demeure globalement plus noir et désespéré. Sans doute un effet de la vieillesse qui commence à s’emparer des comédiens, tandis que les perspectives mondiales s’assombrissent petit à petit.
Une étoile filante également en salles
Présenté au Festival de Locarno en 2023, la comédie noire mais enchantée n’est pas parvenue à décrocher une récompense. Le distributeur Potemkine n’a trouvé que 12 salles sur toute la France pour sa sortie du 31 janvier 2024. Pour son premier jour, le film n’a glané que 155 entrées, avec une moyenne catastrophique de 13 spectateurs par cinéma. Au bout de sa première semaine, le métrage accueillait 1 480 cinéphiles dans des salles désertes. On est donc très loin des excellents taux de remplissage constatés lors des sorties de L’iceberg (2005) et surtout de Rumba (2008).
En semaine 2, le film franchit péniblement la barre des 2 000 spectateurs. Après seulement six semaines d’exploitation, le duo doit se contenter de 2 575 entrées, soit le plus mauvais résultat de toute leur carrière en France. Quasiment invisible en salles à cause d’une distribution très limitée, L’Étoile filante peut donc être découverte désormais en DVD, blu-ray ou encore en VOD. On vous recommande ce spectacle, même si ce n’est assurément pas le meilleur opus du duo.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 31 janvier 2024
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Dominique Abel, Fiona Gordon, Kaori Ito, Philippe Martz, Bruno Romy
Mots clés
Cinéma belge, Comédies décalées, Film noir, Pastiche