Patchwork sans véritable cohérence, Les nuits brûlantes de Linda alterne d’excellents moments avec d’importants passages à vide. Ni le pire, ni le meilleur Jesús Franco. A réserver aux fans hardcore du cinéaste.
Synopsis : Marie-France trouve un emploi comme nurse dans une famille française et puritaine résidant en Grèce, les Radek. Le père a assassiné autrefois son épouse adultère et vit dans le remords. À ses côtés, sa fille Linda, paralytique, et Olivia, sa nièce nymphomane. Et enfin, Abdul, l’homme à tout faire simple d’esprit. Les frustrations de la famille vont être chamboulées par l’arrivée de Marie-France…
1973 : année chargée pour Jesús Franco
Critique : Tourné en 1973 durant une année faste pour le cinéaste Jesús Franco, Les nuits brûlantes de Linda est l’un des onze films que l’artiste a dégoupillés en moins de douze mois. Durant cette période où Franco tourne plus vite que son ombre, il est capable de sortir quelques œuvres intéressantes comme La comtesse perverse, Al otro lado del espejo (exploité en France dans un autre montage intitulé Le Miroir obscène) ou encore La comtesse noire. Au sein de cette production pléthorique, Les nuits brûlantes de Linda, initialement intitulé Mais qui donc a violé Linda ? n’est ni le pire, ni le meilleur rejeton d’un réalisateur pressé de tourner, mais peu soucieux du résultat final.
Coproduction avec l’Italie, le métrage a surtout été monté par la compagnie française Eurociné, spécialisée dans le cinéma d’exploitation pur et dur. Il s’agissait pour la société de production et de distribution d’alimenter les salles de quartier, ainsi que les cinémas de province avec des produits aux titres aguicheurs. Et peu importe si le film ne correspond pas vraiment aux attentes du public, pour peu qu’il ait payé sa place.
Un film exploité en salles dans une version X
Ainsi, Les nuits brûlantes de Linda a fait les frais de son exploitation tardive puisqu’il n’était qu’un simple film érotique comme on en faisait en 1973, mais Eurociné ne l’a sorti qu’en 1975 alors que la pornographie déferlait dans les salles. Le long-métrage a donc été caviardé d’inserts pornographiques, mais il est important de signaler que cette opération a été effectuée par Jesús Franco lui-même, aidé par Lina Romay qui donne de sa personne dans ces inserts que l’éditeur Artus a choisi d’écarter du montage du long-métrage et de les repousser en bonus de son édition DVD / Blu-ray.
Étant une œuvre aux montages multiples en fonction des marchés, Artus nous propose ici la version soft la plus complète possible et qui respecte au maximum la volonté de l’auteur. Cela ne masque malheureusement pas les énormes défauts d’un script qui semble avoir été écrit au fur et à mesure d’un tournage réalisé entre la France (pour les intérieurs) et la Grèce (pour les extérieurs, par ailleurs superbes). L’intrigue proposée par Franco s’avère totalement incohérente et le film donne souvent l’impression de n’être qu’un collage de séquences dépareillées et assemblées au hasard.
Des fulgurances gâchées par des idées saugrenues
Ainsi, le film commence par suivre le personnage de gouvernante incarnée par Alice Arno, avant de progressivement l’abandonner pendant une bonne demi-heure au profit de Lina Romay qui est la cousine de la fameuse Linda (assez peu présente Verónica Llimerá). Dès lors, les véritables obsessions de Franco peuvent resurgir avec notamment des idées d’inceste, mais aussi un étrange ballet où l’érotisme (peu émoustillant, soyons honnête) se mêle intrinsèquement à la mort. Cette ambiance à la lisière du gothique où plane l’ombre de la faucheuse est à rapprocher de celle de la version espagnole du Miroir obscène et confirme donc le statut d’auteur de Franco.
Si ces passages constituent à coup sûr les bons moments des Nuits brûlantes de Linda, on ne peut qu’être déçu par le résultat final, très inégal car systématiquement gâché par des idées incongrues et surtout une intrigue qui ne tient jamais la route. Des personnages apparaissent, puis disparaissent du film sans que l’on comprenne pourquoi. De même, certains protagonistes viennent ajouter des touches humoristiques foireuses, tandis que certaines scènes érotiques confinent au ridicule – voir la séquence très bis avec la banane.
Un brouillon de film
Heureusement, dans ce grand fourre-tout, les acteurs ne s’en tirent pas trop mal. Ainsi, Alice Arno et Lina Romay font preuve d’une belle assurance, tandis que le vieux routier du bis européen Paul Muller assure toujours en patriarche pervers. Disposant d’une photographie inégale, d’un thème musical aux accents bis, Les nuits brûlantes de Linda apparaît donc comme un brouillon de ce qui pouvait donner un film intéressant, mais qui est gâché par la multiplicité des tons employés, au détriment de toute cohérence esthétique et artistique. Et ce n’est pas le plan final qui nous indique que tout ceci n’était qu’un rêve – pur astuce de scénariste en manque d’inspiration – qui parviendra à nous persuader que toutes les incohérences du script venaient d’une démarche délibérée de la part de Jesús Franco.
Critique de Virgile Dumez
Box-office :
C’est en été que Les nuits brûlantes de Linda ont fait monté la température parisienne, pendant trois semaines d’exploitation au total et un total de 29 453 entrées. Le film, distribué par Avia Films, est alors présent au Beverley, à l’Alpha Elysées, à l’Axis, au Cinévog St-Lazare, au Galaxie, au Delambre Montparnasse et au Gramont, pour la capitale.
Le film réapparaîtra sous différents titres et sera exploité en VHS par SHV, fin connaisseur des productions Eurociné et Jess Franco (Mondo Cannibal, Une vierge chez les morts-vivants, La maison Tellier, La pension des surdoués, Convoi de femmes…) dès 1982.
Les sorties de la semaine du 16 juillet 1975
Le test blu-ray :
Une édition plutôt valeureuse d’un film rare, avec des suppléments exclusifs à la parution française.
Compléments et packaging : 4 / 5
Artus nous propose ici une édition combo DVD et blu-ray sise dans un fourreau et dont le boitier s’ouvre en deux sur une photo tirée du film. C’est une présentation simple, mais efficace et agréable à l’œil.
En termes de suppléments vidéo, l’éditeur n’a pas repris les entretiens présents sur l’édition américaine de Severin avec Franco et Lina Romay. On peut sans doute le regretter, mais ils offrent en contrepartie des bonus exclusifs. On est heureux d’écouter Daniel Lesoeur (producteur pour sa firme Eurociné) revenir sur les montages financiers de ces produits et sur l’ambiance chaleureuse qui régnait sur les plateaux de Jesús Franco. Le producteur semble nostalgique de cette période et encense la capacité de Franco à tourner rapidement pour un coût modique.
Ensuite, Stéphane du Mesnildot se livre à une analyse du long-métrage durant 22 minutes très intéressantes et pertinentes, même si nous ne sommes pas aussi enthousiastes que lui à propos du film. Très intellectualisée, son argumentation tient peu compte du contexte de tournage chaotique qui explique sans nul doute les errances du script, loin de toute volonté purement artistique de la part du réalisateur.
On est ensuite ravis de pouvoir visionner 15min de scènes hard qui venaient s’insérer dans le montage diffusé en salles en 1975. D’autant que les séquences en question sont sans aucun doute signées de Jesús Franco lui-même, avec comme interprètes Lina Romay et son mari, le photographe Ramon Ardid.
Enfin, Artus nous convie à visionner un diaporama avec affiches et photos d’exploitation et les bandes annonces des autres films de la collection.
L’image du blu-ray : 3 / 5
Le film a été massacré par ses différents exploitants en fonction des marchés. Pourtant, l’éditeur américain Severin est parvenu à dénicher une copie correcte du film, à la scanner en 2K et à offrir donc une seconde vie au film. Cette version n’en demeure pas moins abîmée, avec des brûlures, des points blancs et parfois une grosse instabilité de l’image. Heureusement, cela n’empêche pas la copie d’être bien définie et d’offrir une belle colorimétrie à l’ensemble (malgré quelques scènes trop sombres). Encore une fois, il s’agit d’une œuvre rescapée et donc nos exigences ne doivent pas être trop élevées.
Le son du blu-ray : 4 / 5
L’unique piste présente est la version française mono, plutôt correcte dans sa dynamique, mais qui passe parfois en anglais sous-titré lors des passages qui ont été coupés dans la version hard exploitée en salles en 1975. Cela n’arrive pas fréquemment et n’entrave en rien le visionnage. L’ensemble est tout à fait correct, là encore au vu de la rareté du produit.
Test blu-ray de Virgile Dumez
Acheter le combo DVD / Blu-ray sur le site de l’éditeur
Biographies +
Paul Muller, Jesús Franco, Alice Arno, Lina Romay, Verónica Llimerá