Assassiné à sa sortie, l’unique long métrage en tant que réalisatrice de Françoise Sagan est une curiosité au sein d’une biographie mythique. Les fougères bleues restera à jamais un accident de cinéma, sûrement devenu trop rare avec les décennies, jusqu’à sa parution définitive en format physique, en 2024.
Synopsis : Monika et Jérôme, un couple très uni, décident de se rendre dans un chalet de montagne avec leurs amis. Rapidement, Jérôme va surprendre Stanislas, son meilleur ami, en train de faire des avances à sa femme qui ne semble pas indifférente.
Critique : Catherine Breillat, Jeanne Moreau, Charlotte Dubreuil, Chirstine Lipinska… Peu de femmes françaises ont réalisé un premier long métrage en 1975. Françoise Sagan en faisait partie. Elle rejoint Yannick Bellon (1971), Anna Karina (1972), parmi les rares cinéastes femmes à avoir pu se prêter à l’exercice durant cette décennie. Vera Belmont, Diane Kurys et Coline Serreau suivront en 1977, Christine Pascal en 1978…
Partie de chasse au chamois
Les fougères bleues, artistiquement raté pour beaucoup, louche du côté de Claude Chabrol mais n’a pas la dent suffisamment dur pour aller jusqu’au bout d’un jeu de massacre conjugal bourgeois qui ne se fera pas. Et pour cause, Sagan ne filme pas pour remettre l’ordre social en place. On pourrait même la taxer d’opportunisme. Pourtant le huis-clos chasseur, typique de son époque, avec sa vanité et son manège de couple en crise existentielle avait le potentiel pour lorgner vers ce cinéma de mœurs abrupt d’une décennie cinglante. Sagan ébauche un rapport de classe et une opposition ville/campagne qui n’est pas suffisamment développée, mais elle est plus talentueuse quand il s’agit de revenir sur les rapports de genre, notamment avec le stéréotype de la belle blonde jouée par Caroline Cellier que l’homme remet à sa place quand elle sort de son rôle social d’imbécile qu’on lui impose.
La réalisation peu inspirée de Françoise Sagan, qui dans les bonus du blu-ray, confie son inexpérience, son incapacité à prendre une photo, et son manque de cinéphilie, a rendu la sortie du film périlleuse. Il est vrai que son premier essai manque d’idées pour nourrir une situation conjugale tendue qu’elle étend difficilement sur la durée d’un film court. D’ailleurs, tous les dialogues ne font pas mouche et peuvent rendre certains moments fragiles.
Aussi, il faudra attendre un an et un processus de post-production fastidieux pour que le distributeur U.G.C., accompagnée par la C.F.D.C s’y risque à le sortir.
Dans un contexte de cinéphilie riche en 1977, Les fougères bleues n’a guère excité les méninges de ses dialogues sentencieux et les amateurs de cinéma d’auteur ont préféré saluer la Palme d’or des Taviani (Padre Padrone, sublime), et la mémoire de Roberto Rossellini, dont la mort une semaine après la sortie des Fougères bleues sonnait comme un avertissement. On ne nait pas tous cinéaste.
Box-office Les fougères bleues
UGC et CFDC proposent Les fougères bleues conjointement dans 12 cinémas, deux jours avant la fin du festival de Cannes, agrémenté d’une magnifique affiche de Landi qui restera la griffe de ce film à la carrière éclair, faute de publicité et d’engouement des critiques.
Ironiquement, le jour de la sortie des Fougères, la société Molière distribuait sur 4 sites en intra-muros Le Camion de Marguerite Duras, avec Gérard Depardieu. Effectivement, deux autrices emblématiques de leur époque se faisaient compétition dans les salles le même jour. Une coïncidence ? Pour Le Camion, la date est une évidence puisque l’expérimentation radicale de Duras avait été sélectionnée au festival de Cannes. Pour ce qui est des Fougères bleues de Françoise Sagan, cette sortie entrera dans la légende des décisions incongrues qui ne s’expliquent pas.
Marguerite Duras contre Françoise Sagan : duel dans les salles
A l’issue d’une première semaine à 6 635 spectateurs, Sagan l’emporte sur Le Camion (3 717). Dans une combinaison identique, le premier long de Françoise Sagan réalisatrice se maintient en 2e semaine (6 265), tout comme Duras (3 719). Cette semaine-là est caractérisée par une absence de sorties porteuses, puisqu’aucune nouveauté ne parvient dans le top 9. Cela explique tout.
En 3e semaine, c’est la chute libre pour Les fougères qui se fane dans 2 salles (2 041 écran). Le Camion résiste mieux dans 3 cinémas (2 350 salles). Sa proposition de cinéma est plus intéressante, bien qu’éreintante.
En 4e semaine, Les fougères bleues trouve encore 1 310 spectateurs au seul UGC Biarritz (total de 16 251) quand Le Camion roule encore pour 1 758 routiers dans 2 salles (total de 11 544).
In fine, Les fougères trépasse à l’issue de sa 6e semaine, toujours au Biarritz (925 spectateurs, total de 19 473). Le Camion poursuit sa route (1 070 spectateurs au Hautefeuille, cette même semaine) et achève sa course en 7e semaine à 14 724 curieux.
Curieusement, Françoise Sagan se verra proposer la présidence du Festival de Cannes, en 1979, mais ne retrouvera plus le financement pour une incursion supplémentaire derrière la caméra. Cette parenthèse cinématographique paraîtra anodine par rapport aux différents drames et scandales qui joncheront les 20 dernières années de sa vie. Elle reste néanmoins digne et intéressante pour tous ceux qui s’intéressent à la Sagan et sa sagacité d’écriture. De la plume aux dialogues, elle avait déjà franchi le pas du scénario à plusieurs reprises, mais cette réalisation demeure l’une de ses expérimentations les plus fragiles et donc finalement nécessaires à découvrir, surtout avec un si beau casting.
L’échec des Fougères bleues n’aidera pas la société de production Les Films du Corona (La grande vadrouille, Le Corniaud) à se ragaillardir. Née avant la deuxième guerre mondiale, cette société de légende qui a aligné des décennies de classiques (L’armée des ombres, en 1969, Tristana et Le Cercle rouge, en 1970, Trafic et Soleil rouge en 1971, Un flic et Nous ne vieillirons pas ensemble en 1972, compte parmi ses derniers grandes sorties) allait cesser d’exister peu après.
Sorties de la semaine du 25 mai 1977
Le test blu-ray
Nouveau titre paru dans la collection StudioCanal Nos Années 70, aux côtés d’A nous les petites anglaises de Michel Lang et Une femme à sa fenêtre de Pierre Granier-Deferre, Les fougères bleues méritait bien de paraître enfin en galette bleue, d’autant plus que cette unique réalisation de Françoise Sagan peut aussi sonner comme un hommage à la romancière décédée il y a 20 ans, en 2004, et à son œuvre (alors) sulfureuse, Bonjour Tristesse qui célébre en 2024 ses 70 ans.
Compléments & packaging : 1.5 / 5
Une brève présentation du film par Jérôme Wybon pose l’essentiel. Elle est accompagnée d’une interview de la réalisatrice, datant de 1976, et issue des archives l’INA. Pendant une poignée de minutes, l’écrivaine revient sur cette nouvelle expérience de réalisatrice et ses défis.
Le packaging ne reprend nullement le visuel de Landi. Et l’ensemble, fourreau identique à la jaquette, donne un côté sommaire à ce film qui l’est déjà dans son fond et sa durée (1h17).
L’image du blu-ray : 4.5/5
Superbe copie qui bénéficie d’une restauration pointilleuse dont beaucoup de classiques aimeraient profiter. Le grain cinéma a été conservé et ne dessert pas les espaces parfois un peu sombres car les éclairages sont toujours équilibrés. Des noirs profonds et des couleurs accentuées de la façon la plus harmonieuses rendent la projection du film toujours très agréable.
Le son du blu-ray : 4 / 5
Tourné évidemment en Mono, Les fougères bleues est paré d’un DTS HD Master 2.0 qui donne de l’ampleur au score symphonique élégant. Les voix sont claires et distinctes. La copie est donc excellente pour cette rareté qui ressurgit parée d’un écrin avenant.
Biographies +
Francis Perrin, Françoise Fabian, Caroline Cellier, Gilles Segal, Jean-Marc Bory