Leila et ses frères marque une consécration pour Saeed Roustaee, réalisateur iranien de La loi de Téhéran, en compétition officielle à Cannes 2022. Avec près de 200 000 entrées, le thriller carcéral avait enflammé les salles durant l’été 2021. Ici, sans le moindre soubresaut, le jeune cinéaste s’immisce au cœur d’une famille de la classe moyenne iranienne pour en extirper toutes les failles et les contradictions. Excessivement féroce !
Synopsis : Leila a dédié toute sa vie à ses parents et ses quatre frères. Très touchée par une crise économique sans précédent, la famille croule sous les dettes et se déchire au fur et à mesure de leurs désillusions personnelles.
Afin de les sortir de cette situation, Leila élabore un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères. Chacun y met toutes ses économies, mais il leur manque un dernier soutien financier.
Au même moment et à la surprise de tous, leur père Esmail promet une importante somme d’argent à sa communauté afin d’en devenir le nouveau parrain, la plus haute distinction de la tradition persane.
Peu à peu, les actions de chacun de ses membres entrainent la famille au bord de l’implosion, alors que la santé du patriarche se détériore.
Film-fleuve de 2h49 à l’ouverture et au final magistraux
Critique : Il y a tout juste un an, tous les regards cinématographiques se tournaient vers l’œuvre d’un réalisateur iranien encore inconnu en France. Avec La loi de Téhéran, son deuxième film, Saeed Roustayi n’hésitait pas à rendre compte des ravages de la drogue dans son pays et à poser un regard abrupt sur la justice, le tout sur fond de scénario et de mise en scène parfaitement maîtrisés. Un succès qui vaut à son troisième long-métrage d’être sélectionné pour la compétition du Festival de Cannes (2022), même si ce film-fleuve (2h49) aurait gagné à se resserrer davantage autour de l’intrigue. En revanche, la scène d’ouverture et le final font preuve d’une telle maestria que l’émotion qui les entoure accompagne longtemps le spectateur.
Compétition officielle au Festival de Cannes 2022
Dans un mouvement de foule indescriptible, des policiers ordonnent à des ouvriers de quitter leur usine au plus vite sans tenter d’obtenir un quelconque appui de la Direction des Ressources Humaines. Loin de cet enfer, une jeune femme dévorée par le stress confie son dos à une masseuse tandis qu’un vieillard à demi assoupi s’éveille dès qu’il s’agit de ravir le poste tant convoité de parrain de la famille que son cousin récemment décédé vient de laisser vacant. Il faut un peu de temps pour rassembler les éléments du puzzle et trouver ses repères au sein de cette famille peu amène, dont le pivot central est Leïla.
Leila et ses frères : une galerie humaine cabossée
L’héroïne du titre est une femme déterminée et généreuse qui tient à aider ses frères, entravés par des conditions économiques difficiles et des traditions tenaces. Alireza vient d’être licencié. Suite à quelques malversations d’un patron malhonnête, l’usine qui l’employait a fait faillite et il attend plus d’un an de salaires impayés. Il soutient souvent sa sœur avec intelligence mais c’est un pleutre, incapable d’assumer ses responsabilités, avant tout soucieux de ne pas déplaire à leur père. Manouchehr est sans doute le plus futé. Depuis toujours, il vit de petites combines. Il estime n’avoir aucun avenir dans ce pays sclérosé et organise son départ.
Farhad est plus doué pour faire fonctionner ses pectoraux que son cerveau et enfin Parviz, père de 4 filles bien décidé à agrandir sa famille jusque ce que le ciel veuille bien lui accorder un garçon peine à nourrir son petit monde avec cet emploi d’homme de ménage dans le centre commercial où travaille Leïla. Une galerie luxueuse où elle rêve justement d’acheter une boutique qui permettrait à chacun de gagner sa vie honorablement. Or, leurs capacités financières sont restreintes. Pour réaliser leur projet, il leur faudrait pouvoir disposer des économies de leur père, un vieillard revanchard qui, par peur du qu’en-dira-t-on et par goût des apparences, choisit de confier ses deniers à quelques cousins peu scrupuleux en échange de la vague promesse d’une place de choix au sommet de la pyramide familiale.
Un rythme inégal, mais un impressionnant sens de la psychologie
Soucieux de coller au plus près de la réalité, Saeed Roustaee ne nous épargne rien des conflits et des coups bas qui empoisonnent cette fratrie au point de se perdre dans des discussions fastidieuses (Très vite, on devine que la cordialité et la tendresse n’ont pas élu domicile chez ces gens-là) préjudiciables au rythme de la narration. En revanche, on se régale de la précision avec laquelle il dépeint ses personnages. Sans jamais forcer le trait, ni tout à fait victimes, ni tout à fait coupables, il les imprègne d’une totale authenticité.
Le cinéma iranien sur CinéDweller
Si ces rapports de force intrafamiliaux ont une portée largement universelle, ils servent ici à démontrer avec conviction les conséquences des dérives d’un nouveau régime politique qui a laminé une classe moyenne tout juste émergente et renforcé le poids des traditions au profit d’un dynamisme que les femmes, à nouveau reléguées au second plan, avaient trouvé le moyen de faire souffler.
Des thèmes certes maintes fois abordés dans cette partie du monde, mais auxquels le jeune cinéaste prometteur apporte un point de vue novateur.