Premier grand film de fiction algérien, Le vent des Aurès est un mélodrame de guerre poignant et d’une belle tenue visuelle qui ne s’embarrasse pas de nuances, mais qui s’avère toujours efficace de nos jours. Une œuvre rare à (re)découvrir.
Synopsis : Durant la guerre d’Algérie et au fin fond des Aurès, une mère cherche désespérément son fils raflé par l’armée française et incarcéré depuis plusieurs semaines dans un camp. Avec courage, elle défie les soldats français pour le trouver, allant d’un camp à l’autre.
La création d’une industrie cinématographique algérienne
Critique : Durant tout le premier 20ème siècle, il n’existe aucune véritable infrastructure de production cinématographique en Algérie. Pour mémoire, le pays est totalement intégré au territoire français et sert donc essentiellement de décor aux films français dotés d’accents coloniaux. Pourtant, dès 1957, quelques opérateurs algériens sont formés en Tunisie afin de pouvoir témoigner de la guerre de libération effectuée par le FLN (Front de Libération Nationale) et l’ALN (Armée de Libération Nationale). C’est dans ce cadre que le futur réalisateur Mohammed Lakhdar-Hamina effectue sa formation. Il est d’ailleurs l’auteur de plusieurs courts métrages documentaires, dont Les fusils de la liberté (1961) qui suit les troupes de l’ALN dans sa lutte contre les colons français.
Grâce à son engagement massif au cœur de la lutte de libération algérienne, le réalisateur novice occupe une position de choix qui lui permet de créer et de diriger l’OAA (Office des Actualités Algériennes). Cette entité est ensuite absorbée par l’Office National pour le Commerce et l’Industrie Cinématographique (ONCIC) dont il devient un membre éminent, lui offrant la possibilité de passer à la réalisation de longs métrages de fiction. Alors que le pays s’engouffre dans la veine du documentaire engagé, Mohammed Lakhdar-Hamina préfère opter pour la fiction avec Le vent des Aurès (1966) qui peut donc être considéré comme le tout premier effort fictionnel de la nouvelle nation algérienne.
Le vent des Aurès, conçu pour consolider l’idée d’un peuple algérien martyr
Bien évidemment, la thématique abordée par ce premier long métrage validé par les autorités du FLN n’est autre que la guerre d’Algérie. Le but du pouvoir en place est de fortifier le sentiment national algérien en faisant du peuple le martyr d’une cause plus grande que lui. Ainsi, le script du Vent des Aurès s’inscrit pleinement dans cette volonté martyrologe d’un pouvoir ayant besoin d’affermir sa position dominante sur un pays divisé. C’est sans aucun doute ce qui limite aujourd’hui la portée de cette première œuvre pourtant valeureuse à plus d’un titre.
Tout d’abord, dans Le vent des Aurès, le peuple algérien est montré comme uni et indivisible, ce qui fait l’impasse sur la situation particulière des harkis (ces Algériens qui ont lutté avec l’armée française), mais oublie également d’évoquer les rivalités entre Arabes et Berbères, ce qui est d’autant plus étonnant que Mohammed Lakhdar-Hamina est lui-même d’origine berbère. Sans doute l’heure n’était-elle pas aux chicanes, mais bien à la célébration de l’unité – même fictive – d’un peuple ayant souffert pendant un siècle et demi du colonialisme. L’armée française est également montrée comme implacable et forcément de manière toujours négative, ce qui est globalement juste, mais qui correspond surtout à la vision diffusée par le FLN, y compris dans les programmes scolaires fondés sur une haine farouche de l’occupant français.
Des qualités documentaires incontestables
On l’aura donc compris, dans Le vent des Aurès, l’heure n’est pas à la complexité de l’analyse de la situation, mais bien à l’émotion suscitée par un conflit qui fut meurtrier et rude pour les deux camps. En termes purement cinématographique, Le vent des Aurès bénéficie tout d’abord d’un réel sens de la mise en scène, avec des mouvements de caméra panoramiques qui démontrent le talent du réalisateur pour inclure ses personnages dans un cadre géographique précis. Les vingt premières minutes s’attardent notamment à décrire les travaux des champs dans ces Aurès, avec une réelle qualité documentaire.
Lorsque la guerre s’invite au cœur de ces montagnes éloignées, le cinéaste bénéficie du concours de l’armée pour signer une scène de fusillade aérienne impressionnante. Enfin, le drame se noue autour d’une unique famille où le père disparaît durant de cette fusillade, puis le fils (Mohamed Chouikh au jeu sobre) est fait prisonnier par une escouade française. Dès lors, la mère de famille, interprétée par la grande dame du théâtre algérien Keltoum, va faire des pieds et des mains pour retrouver sa progéniture, seule famille qui lui reste.
Keltoum, incarnation parfaite des souffrances du peuple algérien
A partir de ce moment, le long métrage prend son temps pour décrire le périple semé d’embuches d’une mère courage. A elle seule, Keltoum incarne la souffrance de ce peuple algérien qui a subi la colonisation, puis la lutte d’indépendance, mais qui a fait preuve de résistance et d’opiniâtreté.
Afin de marquer les consciences, Le vent des Aurès se termine par une scène dramatique poignante avec des effets mélodramatiques qui évoquent les moments les plus lyriques du cinéma soviétique des années 20 et 30. On saluera notamment le très beau travail effectué sur les cadrages, mais aussi la belle photographie noir et blanc, tous deux effectués par Mohammed Lakhdar-Hamina lui-même, ainsi que la belle musique de Philippe Arthuys. Ainsi, Le vent des Aurès s’impose comme un beau mélodrame de guerre, parvenant à dépasser son aspect propagandiste pour s’incarner pleinement dans un drame familial poignant.
Présenté avec fierté par l’Algérie en compétition lors du Festival de Cannes en 1967, Le vent des Aurès est reparti avec le Prix de la première œuvre. Le réalisateur ne cesse de répéter à longueur d’interview qu’il aurait pu décrocher la Palme si le réalisateur Ousmane Sembene n’avait pas voté contre lui lors de la réunion du jury. Une allégation impossible à vérifier et dont on laisse la responsabilité à son auteur.
Une sortie française discrète à cause d’un sujet dérangeant
Par la suite, la sortie française du long métrage a été compliquée par la teneur même du film. Le vent des Aurès serait sorti donc tout d’abord dans les salles de province, et notamment à Marseille, dès le 6 novembre 1968. Le métrage serait parvenu à sortir finalement dans la capitale à partir du vendredi 17 janvier 1969, mais dans une discrétion absolue. Il faut en réalité attendre que le réalisateur algérien décroche la Palme d’or avec Chronique des années de braise (1975) pour que l’ensemble de ses films ressortent dans les salles françaises au cours des années suivantes.
Plutôt mal servi en matière de postérité, malgré son titre de premier grand film algérien de l’histoire, Le vent des Aurès n’a droit qu’à une édition DVD éditée à la demande des médiathèques, ce qui condamne le long métrage à alimenter les plateformes de streaming dans une copie assez déplorable. Il serait temps que ce film de patrimoine fasse l’objet d’une vraie restauration, à la hauteur de son importance historique.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 15 janvier 1969
Voir le film en VOD
Biographies +
Mohammed Lakhdar-Hamina, Keltoum, Mohamed Chouikh
Mots clés
Cinéma algérien, La guerre d’Algérie au cinéma, Les mères au cinéma, Festival de Cannes 1967