Film de procès efficace, L’affaire Collini a le mérite de révéler un fait juridique et historique méconnu qui interpelle le citoyen sur les limites de la justice. Une réussite dans la lignée du Labyrinthe du silence.
Synopsis : Pourquoi Fabrizio Collini a-t-il assassiné Hans Meyer, un industriel de la haute société allemande ? Comment défendre un accusé qui refuse de parler ? En enquêtant sur ce dossier, son avocat découvrira le plus gros scandale juridique de l’histoire allemande, et une vérité à laquelle personne ne veut se confronter…
L’affaire Collini ou la dénonciation de la complaisance du régime ouest-allemand avec les anciens nazis
Critique : En 2019, le réalisateur Marco Kreuzpaintner, dont nous ne connaissons en France que le drame gay Summer Storm (2004), a décidé d’adapter au cinéma le roman L’affaire Collini de Ferdinand von Schirach paru avec succès en 2011. Si l’auteur a bel et bien inventé l’intégralité de cette histoire, il se fonde pourtant sur l’existence d’une loi bien réelle, dont nous avions oublié l’existence : la loi Dreher de 1968. En fait, il s’agissait pour les juristes de requalifier les crimes de guerre en simples meurtres, ce qui les faisait d’office tomber dans le cadre de la prescription. Ainsi, plusieurs centaines de criminels nazis n’ont pu être jugés pour leurs actes odieux.
C’est sur la base de cette loi que l’auteur et les scénaristes ont conçu cette histoire de vengeance par-delà les décennies. Le long-métrage commence par un mystère : pourquoi est-ce que l’Italien Fabrizio Collini est venu jusqu’en Allemagne pour descendre devant témoins l’industriel Hans Meyer ? Comme l’homme s’est muré dans le silence, c’est à son avocat commis d’office interprété avec beaucoup de naturel par le comique Elyas M’Barek – en total contre-emploi, donc – que revient la lourde tâche d’enquêter. Le spectateur est donc invité à suivre les découvertes toujours plus étonnantes de cet avocat tenace qui va devoir rompre avec son passé pour révéler enfin la vérité sur une période trouble.
Comme un air du Labyrinthe du silence
Comme dans les succès allemands les plus récents, dont le modèle est ici clairement Le labyrinthe du silence (Ricciarelli, 2014), L’affaire Collini va à nouveau plonger dans une période sombre de l’histoire allemande, remontant jusqu’au nazisme. Toutefois, si la reconstitution des exactions nazies est plutôt classique et attendue dans un tel ouvrage, le spectateur sera davantage intéressé par le traitement réservé aux nazis après la guerre par une Allemagne de l’Ouest finalement très soucieuse d’effacer un passé gênant.
Copyright 2019 Constantin Film Verleih GmbH. Mis à disposition par ARP Sélection. Tous droits réservés.
Certes, les plus grands criminels ont été jugés et d’autres ont fui en Amérique du Sud, mais bon nombre de petites mains ont continué de mener une existence tranquille, alors même qu’ils se sont rendus coupables de crimes atroces et de violences inadmissibles. Cette thématique est parfaitement rendue dans ce film de procès qui tient sans cesse en haleine, tout en procurant des émotions fortes grâce à des acteurs chevronnés.
Un film classique, mais dominé par la prestation de Franco Nero
Alors qu’il est d’abord mutique, le grand Franco Nero – 80 printemps au compteur – livre une prestation particulièrement émouvante lorsque son personnage livre enfin son terrible secret devant un tribunal estomaqué. Face à lui, on apprécie la prestation toujours impeccable d’Alexandra Maria Lara (la secrétaire d’Hitler dans le magnifique La chute en 2004), ainsi que celle d’Heiner Lauterbach dans le rôle d’un redoutable avocat à la morale à géométrie variable.
L’affaire Collini fait donc preuve d’un évident classicisme dans son déroulement, mais la réalisation de Marco Kreuzpaintner cherche à éviter une mise en forme télévisuelle, trop souvent l’apanage des productions allemandes de ces deux dernières décennies. Il y parvient notamment lors des séquences d’enquête et de procès grâce à une caméra sans cesse en mouvement. Cependant, le cinéaste se fait plus académique lorsqu’il aborde les séquences historiques en flashback. Là, il n’évite pas toujours le piège du mélodrame et du pathos. Toutefois, on veut bien lui pardonner ces quelques écarts puisqu’il s’agissait de rappeler à la mémoire des plus jeunes les horreurs de l’époque nazie. En ce sens, il fait preuve d’une belle efficacité.
Un succès allemand confronté à la Covid et à la désertion des salles françaises par les séniors
Sorti en avril 2019 dans les pays germaniques, L’affaire Collini a connu un certain succès, mais a vu sa carrière internationale entravée par la pandémie de Covid-19. En France, on n’a découvert le long-métrage que lors du Festival Reims Polar 2022, avant sa sortie confidentielle fin avril 2022 dans un contexte difficile pour l’art et essai à destination des séniors – qui ont déserté les salles. Lors de la séance parisienne de 14h, L’affaire Collini n’a trouvé que 304 spectateurs dans 12 salles. Lors de son premier jour, le drame judiciaire n’a cumulé que 10 557 entrées sur toute la France, dont 3 335 ont été réalisées lors d’avant-premières.
Avec 21 272 avocats dans les salles françaises durant sa première semaine, le métrage démarre mal et passe à 11 894 entrées ensuite. Le métrage a continué à être exploité jusqu’à la fin du mois de juin, poussant ses entrées jusqu’à 45 258 tickets vendus (pour mémoire, Le labyrinthe du silence avait attiré 340 857 curieux, dans un contexte décidément bien différent). Cette déception fait que le film est désormais disponible sur les plateformes de VOD, mais pas en support physique.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 27 avril 2022
Voir le film en VOD
© 2019 Constantin Film, SevenPictures Film, Mythos Film et Rolize & Co. / Affiche : Caractères (agence). Tous droits réservés.
Biographies +
Marco Kreuzpaintner, Franco Nero, Stefano Cassetti, Elyas M’Barek, Alexandra Maria Lara, Heiner Lauterbach
Mots clés
Cinéma allemand, La Seconde Guerre mondiale au cinéma, Les nazis au cinéma, La mémoire au cinéma